Cette année Pierre Soulages fête ses 30 ans.

La Galerie Hurtebize propose à cette occasion une œuvre inédite du maître du Noir, Peinture 63 x 102 cm, 9 avril 2000.

Soulages est un des pionniers de l’art abstrait en France, à l’instar d’autres grandes figures présentées par la Galerie, spécialisée en art moderne. C’est l’un d’eux, Hans Hartung, contemporain de Pierre Soulages, qui exprime cette appartenance du ruthénois à la nouvelle vague d’après-guerre : « Nous nous sommes tous développés d’une manière instinctive et naturelle comme cela me paraît avoir été le cas aussi avec Schneider, Soulages, Mathieu et bien d’autres, européens et américains ».[1]

L’art abstrait en France est souvent coloré : chez Hartung, Mathieu, Miotte, Schneider, Lanskoy et les autres, les couleurs vives se juxtaposent, se superposent au rythme du pinceau et des outils, scandant les émotions les plus intimes des peintres dans des envolées lyriques plus ou moins énergiques et denses en matière.

Pierre Soulages, à l’inverse, invente un langage fait d’ombres et de lumières, de reflets et d’introspection par le contraste absolu du noir et du blanc. Comme son contemporain André Marfaing, avec lequel il entretint un rapport parfois difficile, sa poétique ne se base pas sur la décomposition des couleurs du spectre lumineux, cher à Charles Lapicque, mais sur le contraste le plus absolu qui soit : celui du blanc et du noir. Et même lorsqu’il emploie la couleur, le bleu ou le brou de noix, celle-ci rehausse la valeur absolue du noir qui s’y oppose par plages plus ou moins denses et brillantes.  La recherche du paradoxe – la lumière par l’obscurité, la brillance par le noir – est une constante que l’artiste ne cesse de recréer, tout comme la tension permanente entre lyrisme créateur et rigueur formelle de ce qu’Hans Hartung appelle « ces « poutres » qui, pour beaucoup de peintres (Franz Kline, Soulages, et {lui-même} encore), allaient jouer, après-guerre, un grand rôle. »[2]

Durant un mois, en l’an 2000, Pierre Soulages a réinventé sa technique, pour produire sept tableaux au format identique selon une technique de collage de bandes de toile outrenoires – donc peintes en noir sur toute leur surface – sur toile. L’œuvre présentée par la Galerie Hurtebize est la septième de cette série atypique du maître, qui emploie ici une technique inédite. Cette œuvre a notamment été exposée lors de la rétrospective Soulages au Centre Pompidou et figure dans le catalogue de l’exposition[3], preuve de sa grande qualité picturale, de sa rareté et de sa représentativité de la série des sept peintures de mars à avril 2000.

Dans le quatrième tome du catalogue raisonné de Soulages, Pierre Encrevé, spécialiste du maître de l’Outrenoir, détaille le mode opératoire du peintre :

« Le renouvellement incessant de Soulages dans ces années se manifeste encore dans l’apparition d’une autre « famille » de toiles également en noir et blanc, mais d’une technique radicalement différente de celles qu’il a mises en œuvre jusqu’ici, une sorte spécifique de collage. {…} Sept peintures horizontales de mêmes dimensions, 63 x 102 cm, réalisées en continuité sur la durée d’un mois, {…} sont en effet réalisées d’après le principe suivant : Soulages découpe quatre (cinq, pour 12 mars 2000) larges bandes de toile, longues de 102 cm pouvant recouvrir ensemble environ les deux tiers de la surface de la toile blanche tendue sur le châssis (excepté pour 8 mars 2000 où l’une des bandes est deux fois plus large que les trois autres) et les peint en noir des deux côtés ; puis il les applique légèrement sur la toile blanche, laissant des traces noires aléatoires et plus ou moins nettes selon la force de la pression exercée ; enfin il les colle en parallèles horizontales par une forte pression, les « salissures » noires demeurant visibles dans les bandes blanches délimitées sur le fond par les bandes collées.

Cette technique inédite dans l’œuvre du maître est originale et recherche les mêmes effets de contrastes lumineux que ses précédentes expérimentations. A ce sujet, Pierre Encrevé ajoute : Le résultat est tout à fait surprenant pour qui connaît bien son travail : des toiles avec quatre ou cinq bandes noires monochromes, nettes et parallèles, laissant à découvert une partie du fond de la toile dont la blancheur est maculée de traces noires plus ou moins visibles ne laissant intact aucun endroit de la surface.

Encore une fois, Soulages produit une lumière purement picturale par contraste, mais sans rapport direct avec aucun des exemples précédents, où s’opposent violemment l’aléatoire des taches noires et la rigueur des bandes organisant l’espace de la toile. Surtout, le collage produit une structure de surface inégale où les traces des mouvements d’applications incomplètes des bandes semblent éterniser un work in progress. Comme si, une fois n’est pas coutume, Soulages voulait donner accès simultanément au procès même de création et à son résultat.»[1] La lumière créée par cette technique double du noir « plein » et de la trace floue provoque une sensation d’instabilité, « une lumière dispersée surprenante, sans rapport avec le contraste noir sur blanc d’avant l’outrenoir. »[2]

Ainsi, la pièce que propose la Galerie Hurtebize reflète les avancées de la recherche de Soulages sur la lumière obtenue par le travail du noir, grâce à une innovation rare dans l’œuvre du maître, le collage de bandes de toiles sur toile.

Venez découvrir l’une des seules compositions de ce type à Cannes au sein du parcours d’exposition de la Galerie Hurtebize, qui propose cette œuvre au milieu d’autres pièces des grands maîtres de l’art abstrait français.


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Marie Cambas

Dernière arrivée dans l’équipe, Marie est diplômée de l’Ecole du Louvre et de la Sorbonne en histoire et en histoire de l’art. Spécialisée en peinture ancienne, elle se tourne ensuite vers l’art Moderne et intègre la galerie en 2018.

[1] Hans Hartung, Autoportrait, Les presses du réel, 2016, première édition Grasset, 1976, p. 55.

[2] Hans Hartung, Autoportrait, Les presses du réel, 2016, première édition Grasset, 1976, p. 223.

[3] Peinture 63 x 102 cm, 9 avril 2000, cat.82, in Soulages, catalogue de l‘exposition Soulages au Centre Pompidou, Paris, du 14 octobre 2009 au 8 mars 2010, sous la direction de Pierre Encrevé et Alfred Pacquement, Centre Pompidou, Paris, p. 255.

[4] Pierre ENCREVÉ, Soulages, l’œuvre complet, Peintures, IV. 1997-2003, Gallimard, Paris, 2015, p.47-49.

[5] Pierre ENCREVÉ, « Un parcours » in Soulages, catalogue de l‘exposition Soulages au Centre Pompidou, Paris, du 14 octobre 2009 au 8 mars 2010, sous la direction de Pierre Encrevé et Alfred Pacquement, Centre Pompidou, Paris, P.29.