Robert Combas ou la liberté d’imaginer : Aux sources de l’art figuratif contemporain en France
La fantaisie et la fraîcheur de l’œuvre de Robert Combas sont, depuis quelques années, devenues incontournables dans le panorama artistique européen et mondial.
Retour sur les inspirations et les rêveries de cet artiste aux mille visages, récemment choisi pour figurer parmi les grands noms de l’Art Moderne et de l’Art Contemporain défendus par la Galerie Hurtebize.
La Figuration Libre ou la négation des conventions picturales
L’œuvre « C’est ta faute » de Robert Combas, réalisée en 2002, actuellement proposée par la Galerie Hurtebize, renvoie à différents imaginaires, typiques de ceux dans lesquels l’artiste a choisi de puiser ses sujets.
Sur un fond régressif au motif de « tableau d’écolier » se déroule l’écriture argotique à la graphie enfantine de Combas, animée par la peinture d’un duel fantaisiste aux couleurs électriques.
Le texte, d’une drôlerie absurde et décomplexée, envahit la toile. Il rappelle par certains aspects les aphorismes de Ben Vautier, celui-là-même qui trouva la formule de « Figuration Libre » pour qualifier le travail du groupe formé autour de Robert Combas et Hervé di Rosa, désormais incontournable du panorama de l’Art contemporain français.
Le terme « libre » n’est en rien anodin ; c’est bien le sentiment de liberté le plus absolu qui guide ces artistes : liberté des sujets, liberté de ton, liberté des inspirations, de la technique… et surtout liberté vis-à-vis de l’abstraction et du minimalisme qui occupent alors la scène artistique contemporaine. Robert écrira en 1982 : « Moi, j’essaie vraiment de faire du nouveau, j’essaie de sortir de moi-même et de ne pas m’occuper de la ressemblance avec quelqu’un. J’essaie d’être le plus honnête possible, et dans l’art on pensait qu’il était impossible de faire quelque chose qu’on ne puisse pas expliquer. Aux Beaux-Arts c’était comme ça, moi j’ai voulu prouver le contraire. J’étais bloqué depuis la maternelle, à 20 ans je me suis débloqué par un travail de masse, je suis arrivé au diplôme, j’avais rien d’intellectuel mais j’avais un travail énorme. »[1] L’artiste contemporain se détache de toute appartenance aux courants et écoles, mais travaille souvent sur des iconographies classiques, – portraits, sujets mythologiques, nus…- qu’il recréée selon son jeu pictural. Ainsi, à la croisée entre modernisme conventionnel, connaissance de la peinture classique, et volonté d’en renouveler le vocabulaire, Combas joue sur tous les registres. C’est ce que la critique Vanessa Noizet affirme lorsqu’elle écrit : « Moderne ou contemporain alors ? Les sujets parodiés, tout comme la spontanéité picturale feinte – on remarque que les coulures sont consciencieusement appliquées et délimitées à l’aide de cernes noirs –, indiquent que Robert Combas s’amuse avant toute chose de l’histoire, des catégories, des spectateurs. »[2] Ainsi, tout comme Bernard Buffet en son temps, Robert Combas est à l’art frontière de l’art pictural classique et de l’art contemporain : il est capable d’utiliser les iconographies les plus traditionnelles, mais seulement pour les reformuler selon son style, original et inédit.
Une inspiration multiple
Le groupe de la Figuration Libre puise son jeu imagé à la source de divers genres et actualités.
Si Hervé di Rosa choisit de traiter du monstre et de la robotique, sujet d’inspiration de toute une mouvance de l’art contemporain, Combas se tourne lui vers l’univers africain et les intonations de l’art brut ; c’est entre motifs sériels bariolés et silhouettes aux couleurs psychédéliques que réside sa poétique, le tout adapté aux éléments de son quotidien : parents, art de rue, actualités.
Comme le souligne le biographe de l’artiste, les influences du peintre sont variées : « l’œuvre de Combas apparaît comme un immense creuset où tout se mêle sans discrimination ; un prisme qui déforme autant qu’il révèle sa perception du monde, son vécu et son imaginaire. Les choses qui ont marqué sa vie d’enfant et d’adolescent à Sète sont pêle-mêle : l’accent, l’argot, les couleurs, les fanfares, les costumes des défilés du carnaval, l’humour noir et la dérision, ses parents, le parti communiste, la musique, les filles, les amis, tout est assimilé, et ce mélange se retrouvera digéré dans ses œuvres. »[3] Cette phrase résume tout à fait la saveur picaresque mêlée de vocabulaire populaire que l’on retrouve dans l’histoire écrite et peinte de « C’est ta faute » qui se déploie sur 2m95 de long et 1m95 de haut. On y trouve la référence aux filles, mais également, comme chez Di Rosa, l’inspiration de la robotique.
Le personnage principal anthropomorphe de la composition apparaît comme un mélange entre un être digne de la mythologie précolombienne– un personnage couronné tenant un sceptre – et une figure contraire, celle d’un colon aux chaussettes montantes. Cette figure contrastée porte en elle-même le choc des civilisations. Elle possède un bras au niveau de la couronne, qui tient un poignard, tourné vers la gueule béante d’un robot en baskets. Le robot, loin de l’armement primaire du personnage qui lui fait face, tient une mitraillette. Cette scène belliqueuse est typique des thématiques chères à l’artiste : « Je faisais beaucoup de batailles car petit, je gribouillais sur les tables de l’école des graffiti sur les cahiers. Mes premières toiles étaient « Bataille de cow-boys contre indiens », « Japonais contre américains », « Bataille navale.»[4] Nous voyons ici une bataille entre deux civilisations, celle du temps des villes et de l’industrie, face à celle de la nature et des temps reculés, celle de l’esclavage mécanique contre celle de la liberté. La figure de la liberté porte un visage anthropomorphe, tandis que le robot, qui a toutefois des caractéristiques humaines, n’en a pas ; c’est le combat de l’Homme contre la Machine. Le texte, quant à lui, évoque plutôt un duel entre une femme et Combas lui-même, qui explique s’être « défendu avec sa force de petit nabot » ; la femme aux talons aiguilles et au rouge à lèvres décrite est mise en image sous les traits mécaniques du robot, provoquant une dualité d’histoires entre écrit et peint, et une assimilation entre l’ennemi robotique et la femme. Ce double jeu reflète bien l’irrévérence et la liberté d’expression de Robert Combas. Son style littéraire ainsi que sa manière de peindre renvoient à l’enfance, et à la pureté des sentiments, tantôt violents, tantôt doux, mais toujours entiers.
Finalement, c’est l’artiste lui-même qui s’exprime le mieux sur son travail : « Avec le recul, je considère que je fais de la peinture abstraite, puis je rajoute des fleurs, une maison, papa maman, tout ce qui me ramène à la simplicité de l’enfance »[5]
Cet imaginaire inimitable devenu emblématique de l’art contemporain français, la Galerie Hurtebize a choisi de le défendre en proposant des œuvres de Robert Combas, et notamment des œuvres de grand format, car c’est là que s’exprime le mieux l’obsédante figuration du peintre.
Gros plan : 1977, la naissance de l’esprit libre chez Combas.
Comme l’indique le biographe de Robert Combas, c’est l’année 1977 qui marque un tournant dans les choix du peintre.
« Il réalise bon nombre de collages et de gravures où l’on constate déjà un travail d’écriture, dont Merde, gravure par laquelle il découvrira l’artiste Ben Vautier. Le travail de gravure est déterminant pour lui. Toute cette technique lui pèse et c’est en synthétisant ses différents styles sur les plaques qu’apparaîtront les prémices de ce qui s’appellera plus tard « Figuration libre ». En marge de ces travaux « scolaires », il réalise des œuvres sur papier : batailles, groupes de rock, aventures de Fernand Zop et de Mickey Combas, Tuer, Ketty. Robert se décomplexe par rapport à la technique. Il réalise qu’il a derrière lui un important travail de dessin et qu’il est déjà artiste. Cette prise de conscience naît de l’assimilation de divers faits qui l’ont profondément marqué : Bernard Palissy qui, manquant de bois pour alimenter son four, fit brûler ses meubles et son plancher ; Ladislas Kijno laissant marcher les enfants sur ses œuvres dans une émission de télévision pour la jeunesse de Suzanne Gabrielo, que Robert voit lorsqu’il a onze ans ; Jonathan Richman déclarant dans une interview qu’il faut recommencer à jouer avec des guitares désaccordées. « Liberté » sera dorénavant son mot d’ordre. Voulant faire quelque chose de nouveau, il part alors de son propre passé et y puise les thèmes les plus classiques, comme les images flash de la télévision, la BD, les batailles qu’il dessine depuis son enfance. Libéré de toute contrainte, il se lance et réalise un paysage au crayon sur un immense papier kraft (perdu aujourd’hui). Sa première toile sera modifiée plusieurs fois : séparée en quatre parties, puis en trois, Robert en brûle une, colle sur une autre des morceaux de laine préfigurant les coulures qui apparaîtront en 1989. Il n’a jamais revu cette œuvre depuis. »[6]
Ainsi, à l’instar d’autres grands artistes-inventeurs, – Palissy ou Kijno -, c’est avec passion que Robert Combas se libère du langage établi prôné par les Beaux-Arts, grâce à Ben Vautier mais également à ses acolytes de la future « Figuration Libre », Hervé di Rosa, François Boisrond et Buddy di Rosa.
C’est ce vent de liberté que la Galerie Hurtebize vous invite à venir découvrir à Cannes, pour une immersion totale dans une œuvre d’art contemporain aux dimensions et au traitement exceptionnels.
Marie Cambas
Dernière arrivée dans l’équipe, Marie est diplômée de l’Ecole du Louvre et de la Sorbonne en histoire et en histoire de l’art. Spécialisée en peinture ancienne, elle se tourne ensuite vers l’art Moderne et intègre la galerie en 2018.
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[1], [4], [5]In https://www.combas.com/blog/autobiographie/
[2] Vanessa NOIZET, « Robert Combas : les années 80 et 90 ; Les Combas de Lambert », Critique d’art [En ligne], Toutes les notes de lecture en ligne, mis en ligne le 20 novembre 2017, consulté le 12 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/critiquedart/23419
[3], [6] In https://www.combas.com/blog/biographie/