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Actualité : Nos nouvelles œuvres de Jean Miotte

Depuis plus de dix ans, la Galerie Hurtebize à Cannes défend l’œuvre d’un pionnier de la peinture informelle, Jean Miotte. Cet artiste est à classer parmi les plus grands peintres de l’art abstrait français, et de la grande aventure de l’art moderne en général.

Caractérisé par ses tâches colorées et sa calligraphie noire mouvementée, l’œuvre de Jean Miotte s’étend sur plus de 60 ans.

Dès les années 1950, l’artiste bascule dans l’art abstrait, influencé par son ami futuriste Gino Severini, qui réfléchit alors à la manière de peindre le mouvement et le passage du temps.

Miotte évolue vers la juxtaposition de larges touches de couleurs pures, sur des toiles de format moyen. L’harmonie et le rythme colorés lui sont inspirés de ses deux passions : la danse et le jazz.

Cette période de l’œuvre du maître est sans doute la mieux représentée par la Galerie Hurtebize, qui en propose plusieurs tableaux.

L’artiste expérimente dans un second temps la calligraphie noire sur fond non préparé, blanc ou légèrement coloré, technique nourrie de la philosophie zen alors très diffusée parmi les artistes français. À l’harmonie musicale des couleurs succède donc la gestuelle spontanée de l’écriture du moi. La Galerie Hurtebize à Cannes compte sur les cimaises de son parcours de visiste deux grands formats illustrant à merveille cette période : Miotte 81 et Miotte 88.

C’est durant la phase de maturité, au tournant des années 2000, sur des formats de plus en plus importants, que Miotte combine le mieux ces deux orientations, couleur et graphie, dans une gestuelle enlevée et dansante, pour donner lieu à un véritable « cosmos intime des sensations »[1].

Comme le souligne encore Karl Ruhrberg, l’art de Miotte est un art de l’émotion, qui se manifeste par « la revendication de la couleur vivante, coulant à flots, de lignes impulsives et de l’écriture picturale spontanée. »[2] Cette dernière dimension de son œuvre est également bien représentée par la Galerie Hurtebize, spécialisée dans les grands formats vibrants de tonalités pures de Jean Miotte.

L’œuvre Composition, 2001 est notamment issue de cette phase de réflexion du maître de l’art abstrait. En la regardant, on comprend bien la description de ces grandes toiles mouvementées par Serge Leczner : « Son travail de matière s’allège. Le geste devient une fluidité, un flux majeur, celui de l’émotion. »[3]

Artiste au rayonnement international, Jean Miotte a travaillé entre la France, Zurich et New-York, où il a créé une fondation et un musée. Cet artiste si atypique dans le panorama culturel français de l’après-guerre connaît un intérêt qui dépasse les frontières.

Son œuvre est à découvrir dans le parcours d’exposition de la Galerie Hurtebize à Cannes, non loin de Pignans, dans le Var, où l’artiste avait installé son atelier dès 1965, inspiré par les tonalités chaudes et enivrantes du Sud de la France, à l’instar d’Hans Hartung ou Victor Vasarely, deux autres pionniers de l’art abstrait à la française qui figurent également sur les cimaises de la Galerie Hurtebize.


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Marie Cambas

Dernière arrivée dans l’équipe, Marie est diplômée de l’Ecole du Louvre et de la Sorbonne en histoire et en histoire de l’art. Spécialisée en peinture ancienne, elle se tourne ensuite vers l’art Moderne et intègre la galerie en 2018.

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[1] RURHBERG Karl, Miotte, La différence, Editions La différence, Paris, 1998, P.18.

[2] RURHBERG Karl, Miotte, La différence, Editions La Différence, Paris, 1998, p. 14.

[3] LENCZNER Serge, Miotte, La permanence de l’absolu, Villedieu-sur-Inges, 2006, p.23.

JEAN MIOTTE

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Victor Vasarely, un pionnier de l’art Moderne au Centre Pompidou !

À l’occasion de la réouverture de la Fondation Vasarely à Aix-en-Provence, le Centre Pompidou offre au père de l’Op-Art, – ou « Art Optique » Victor Vasarely – une grande rétrospective, à découvrir jusqu’au 6 mai 2019.

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© Affiche de la première grande rétrospective française consacrée à Victor Vasarely (1906-1997), au Centre Pompidou.

Revenons sur l’œuvre de Vasarely.  Un temps oublié de la critique, ce grand innovateur est aujourd’hui incontournable dans la culture visuelle et l’imaginaire collectif. Outre la Fondation éponyme d’Aix-en-Provence, les institutions publiques, à l’instar du Centre Pompidou, et les galeries, comme la Galerie Hurtebize à Cannes, se penchent sur son œuvre afin de la promouvoir, suscitant un grand regain d’intérêt auprès des professionnels et des amateurs d’art.

Depuis de nombreuses années, la Galerie Hurtebize acquiert et expose des œuvres du peintre, à côté des réalisations de Georges Mathieu, Hans Hartung ou Bernard Buffet, contribuant ainsi à consolider son statut de figure majeure du second XXème siècle. L’œuvre Bios (P.1093), est ainsi proposée entre les œuvres de Daniel Buren et François Morellet, considérés à de nombreux égards comme les héritiers de son art abstrait géométrique, mais pas seulement : le parcours est également jalonné des œuvres des grands maîtres de l’art abstrait français, représentant le courant dit « lyrique », à l’inverse du courant dit « géométrique » incarné par Vasarely.

Dans les années 1960-1970, c’est bien l’Abstraction Lyrique, un art de l’émotion et du geste personnel, qui domine la scène culturelle. Cette nouvelle vague est portée par des artistes tels que Georges Mathieu, Hans Hartung, André Lanskoy, Gérard Schneider, André Marfaing ou Pierre Soulages.

À l’inverse, Vasarely étonne par sa volonté d’un « art pour tous », mécanique et quasi industriel. Ces deux mouvements s’ancrent dans un passé pictural commun. Au cours du XIXème siècle, l’art a évolué, devenant le lieu de l’expression intérieure du peintre : Gauguin explore sa palette de couleurs pures, se détachant de l’exactitude figurative, jusqu’à ce que Kandinsky parvienne à l’abstraction ; c’est dans cette lignée qu’apparaît l’abstraction lyrique française, puisant dans la couleur ainsi que dans la non figuration.

Grâce à ces mêmes axiomes, couleur et abstraction, Victor Vasarely recherche des effets contraires. « Le but de l’art abstrait de l’avenir, c’est d’accéder à une totale universalité du spirituel, martèle l’artiste ; le style sera détaché de toute personne, il sera même encodable »[1], ajoute encore celui dont l’œuvre a véritablement renouvelé les choix visuels d’une époque. De Stanley Kubrick à David Bowie, l’art abstrait géométrique de Vasarely signe bien l’orientation des années 70, dans la confrontation entre la machine et l’homme, l’industriel et l’artisanal.

Vasarely, « c’est notre artiste pop, notre Warhol à la française », souligne l’un des commissaires de l’exposition, Michel Gauthier. Admiratif du travail du peintre français, Andy Warhol a utilisé la machine au service de l’art. Pour l’Art Optique, la trajectoire est inverse ; le pouvoir de l’art réside dans le fait qu’il peut s’apparenter, voire sublimer le travail de l’industrie moderne. Ainsi, à travers les exubérances colorées du Pop Art et la géométrie illusoire de l’Op-Art, c’est toute une vision du monde que propose cette culture de la modernité, oscillant entre admiration et rejet du Progrès. Rappelons qu’il fut un grand graphiste publicitaire, en rapport avec la production industrielle de l’image.

Grâce à la perte des repères visuels du trompe-l’œil, c’est notre rapport au monde et à son évolution qu’interroge V.V. Notre perception du monde serait-elle illusoire ? Ce vertige provoqué par l’œuvre est-il comparable à l’ivresse provoquée par la production de masse ? L’œuvre d’art est-elle un bien que l’on puisse produire en série ? L’art permet-il de refléter les technologies émergentes, à l’instar de la cybernétique et de l’ordinateur ?

Réponse de Magdalena Holzhey, spécialiste de l’artiste, plus bas, dans notre gros plan « Vasarely, emblème de la philosophie des Trente Glorieuses ».

Outre ces questions suggérées par l’Art Optique, revenons au désir le plus cher de son créateur ; celui de la démocratie, de l’accessibilité. S’il est bien un point sur lequel il n’y ait pas de doute, le voici : l’Art Optique est un art qui, à l’instar de la production en série, peut être compris et apprécié par tous. Cette assertion se comprend au sein-même de la genèse de son œuvre. Vasarely choisit de créer des « unités plastiques », modules basiques combinant une forme géométrique et une couleur, dans l’optique d’en faire un langage universel et combinable à volonté. En 1969, il créée même un jeu de participation intitulé « créer votre Vasarely », où les « unités plastiques » sont autant de modules combinables par le spectateur-joueur, dans d’infinies variations. Dans le processus-même de réalisation des œuvres, le travail en équipe selon des méthodes de travail industrielles a toujours prévalu. C’est donc dans la conception-même ainsi que dans la « fabrication » que s’installe et se déploie l’idée d’une démocratisation de l’œuvre d’art, objet de consommation pour tous et créé de manière sérielle. « Mon grand-père avait une culture politique empreinte d’une connaissance aiguë du marxisme, explique Pierre Vasarely, directeur de la Fondation d’Aix-en-Provence. Il en a tiré une doctrine, à l’image des enseignements reçus à l’époque du Bauhaus hongrois : œuvrer pour la société et mettre son art à la portée de tous. »[2]

Tous ces enjeux « universels et spirituels » sont à découvrir ou à redécouvrir au Centre Pompidou, qui propose jusqu’au 6 mai la première grande rétrospective de l’œuvre de Victor Vasarely en France, pour une immersion totale dans l’œuvre vertigineuse d’un artiste à la pensée plus que jamais actuelle !

Gros plan : Vasarely, l’emblème de la philosophie des Trente Glorieuses.

Dans son analyse magistrale de l’œuvre du maître de l’art abstrait géométrique, Magdalena Holzhey écrit : «  Vasarely comptait, dans la période de l’après-guerre, parmi les artistes les plus célèbres et ses œuvres rencontraient le plus grand succès. Il représentait en outre par sa démarche l’esprit du temps, comme l’ont fait très peu d’autres artistes en dehors de lui. Les années soixante et le début des années soixante-dix, époque où sa popularité connut son apogée, étaient placés sous le signe d’un optimisme confiant, d’une foi dans un progrès qui concernait non seulement les avancées techniques mais également l’espoir d’une transformation de la société. L’idée d’un art démocratisé, qu’il serait possible de reproduire à volonté, et qui donc annulerait et le prestige dont bénéficiait jusque-là le chef-d’œuvre unique, et le concept élitiste de possession exclusive, favorisa l’essor de la production artistique et trouva dans l’œuvre de Vasarely l’une de ses applications les plus conséquentes. Celui-ci avait la certitude que l’art avait un rôle à jouer dans la transformation de la société et que les créateurs étaient porteurs du progrès. Son programme esthétique visait à faire entrer l’art dans la vie quotidienne pour que, rendu accessible à tous, il devienne partie intégrante de notre existence. Il était convaincu qu’il était possible de faire accéder les hommes à une « harmonie avec l’art et le monde » et qu’il suffisait pour cela de s’adresser directement à leur faculté sensorielle. Il misait par conséquent presque exclusivement sur les effets optiques et sur la faculté du spectateur d’appréhender de manière spontanée une œuvre d’art.

Il élabora un langage pictural dont la perception reposait uniquement sur les modalités physiologiques de la vision et ne dépendait plus de l’origine du spectateur ni de la culture qu’il avait reçue. »[3]

Outre ce progrès social que porte le travail de Vasarely, il y a le progrès technique indiqué par Magdalena Holzhey. Grand amateur des nouvelles technologies, comme l’ordinateur qui en est encore à ses balbutiements à l’époque, le maître est aussi un fervent lecteur de la revue Sciences et Vies et se renseigne sur les avancées de type scientifique. En effet, pour lui, « l’art sera science »[4]. Il l’explique lui-même dans ses Notes Brutes, son art imite le procédé d’analyse scientifique, et a pour but non pas de peindre le réel mais ce qui le compose, par une savante décomposition du tout en unités, semblables à des atomes. C’est le principe de loi naturelle qui dicte son art : «  En œuvrant, je ramène toutes les données de ma création à des constantes, afin de les trouver identiques au moment de la recréation. Le cadmium, le cobalt, l’outremer ou les couleurs de Mars sont les constantes chimiques mesurables. Les droites, les courbes les angles sont les constantes géométriques mesurables. Le format, le rapport, la distance, l’échelle, sont des constantes mathématiques mesurables. L’intensité lumineuse est une constante physique mesurable. La « mesure de l’artiste » engendre la qualité et confère le génie à des mesures communes et à la matière. »[5]

Ainsi, l’artiste incarne une certaine idée de la Foi en l’Homme qui qui anime l’après-Guerre des Trente Glorieuses. Confiant en les capacités de développement de l’être humain dans tous les domaines, politique, social, scientifique et technologique, Victor Vasarely offre à travers l’ivresse de ses illusions d’optiques une joie communicative, un vertige humaniste résolument tourné vers l’avenir.


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Marie Cambas

Dernière arrivée dans l’équipe, Marie est diplômée de l’Ecole du Louvre et de la Sorbonne en histoire et en histoire de l’art. Spécialisée en peinture ancienne, elle se tourne ensuite vers l’art Moderne et intègre la galerie en 2018.

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[1] Victor Vasarely, in Magdalena Holzhey, Vasarely, Taschen, 2005, p. 144.

[2] Pierre Vasarely, in Victor Vasarely MultipliCITE, catalogue de l’exposition triptyque du 2 juin au 2 octobre 2016 au Musée Vouland, Avignon, au Château de Gordes et à la Fondation Vasarely, Aix-en-Provence, Fage éditions, 2016, p. 37.

[3] Victor Vasarely, in Magdalena Holzhey, Vasarely, Taschen, 2005, p. 7-8.

[4] Victor Vasarely, Notes Brutes, Denoël/Gonthier, collection Médiations, Paris, 1973, p.112.

[5] Victor Vasarely, Notes Brutes, Denoël/Gonthier, collection Médiations, Paris, 1973, p.70.


ART ELYSEES 2019 - Du 17.10.2019 au 21.10.2019

LIEU :
Avenue des Champs-Élysées
De la place Clemenceau à la place de la Concorde
75008 PARIS

OUVERTURE AU PUBLIC :
De 11h à 20h, du 17 au 20 octobre
De 11h à 18h le 21 octobre

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Art géométrique : Victor Vasarély en quelques dates

Extraits du nouveau livre coécrit par le petit-fils de l’artiste, Pierre Vasarely : Vasarely, une saga familiale

L’année 1926

En 1926, le jeune Vasarely commence à faire des publicités pour un laboratoire pharmaceutique dans lequel il travaille pour gagner un peu d’argent, ayant cessé ses études de médecine. Un an et demi plus tard, il rejoint une compagnie de roulements à billes où il excelle dans le domaine publicitaire. Il doit choisir sa voie et gagne en attendant des concours de publicités. Déjà, la force de son art géométrique surprend. Puis il trouve une école digne d’épanouir ses talents, le Mühely :

«  De retour en Hongrie, Bortnyik ouvre le Mühely, l’ « Atelier », qui érige en principe que « l’art doit être une composante utile de la vie ». C’est le Bauhaus revisité à Budapest. L’architecture d’avant-garde, le design, la publicité, la photographie, le dessin animé et la technologie moderne sont enseignés aux élèves et l’abstraction en est la ligne éditoriale. Bortnyik poursuit aussi ses activités de peintre, de graphiste et de designer. Il devient le professeur de Victor, qui trouve l’environnement qu’il espérait pour progresser. »[2] Ce dernier commence à trouver son langage composé de géométrie et de couleurs intenses.

L’année 1930

C’est en septembre 1930 que Vasarely quitte Budapest pour s’installer à Paris, une ville qui connaît alors un élan artistique d’une rare intensité, notamment en art abstrait.

« Sur les quais du métro, il rêvasse tous les jours devant les carreaux blancs qui sont plaqués sur les murs de la station Denfert-Rochereau où il attend son train. Les carreaux se craquellent. Dans les interminables couloirs des correspondances sont affichées des publicités pour « André, le chausseur sachant chausser ». L’inspiration pour ses œuvres est aussi née un peu ici. Il l’exprimera plus tard, dans ce qu’il nomme lui-même sa période « Denfert ». Les craquelures lui donnent l’impression de voir des figurations faites de lignes brisées suggérant de « curieux paysages », des « villes bizarres » ou encore des « fantômes ». L’imagination ne manque pas et ces simples carreaux blancs d’une station de métro deviennent la base de ses compositions »[3]. L’art géométrique qui sera la marque de Victor Vasarely s’insinue déjà dans l’imagination quotidienne du peintre.

Vasarely gagne rapidement sa vie comme graphiste spécialisé dans la publicité, domaine dans lequel il se fait un nom.

« La production publicitaire de Vasarely est marquée par une ambition artistique. Il fait évoluer les « réclames » de l’époque, souvent en noir et blanc et dont les messages sont simplistes. Il introduit de la couleur avec un graphisme élégant, ce qui donne des images plus subtiles. Les formes des publicités déclinent toute une gamme de figures et de volumes géométriques, d’illusions d’optique ou de variations chromatiques. Il y a de la poésie dans ces affiches vantant tel ou tel médicament contre l’hypertension ou les maux d’estomac.

Sur le plan technique, il fait preuve d’une maîtrise parfaite. Il se sert notamment d’un aérographe à moteur, sorte de pistolet à peindre qui projette le mélange coloré sous forme d’un fin brouillard qui permet toutes sortes d’effets. De quoi songer à se perfectionner encore. »[4] Cet art géométrique qui fera son renom, il en use donc de plus en plus à partir de la période Denfert, et notamment dans ses œuvres publicitaires, qui contribuent à la reconnaissance publique de ce style nouveau d’art abstrait.

Peu à peu, ses talents lui permettent de s’adjoindre les services d’assistants :

« Vasarely dessine les projets au crayon et supervise l’exécution de ses travaux par des assistants. Il garde du temps libre pour ses propres recherche artistiques. Sa cote grimpe, car il modernise l’affiche avec des idées qui viennent du cubisme et du surréalisme. A travers la publicité, il étudie les gammes de couleur, l’impact du noir et du blanc et les possibilités de multiplication. »[5] Cet art géométrique allié aux couleurs vives puise son vocabulaire au cœur de l’industrie, et la célèbre.

L’année 1947

A Paris, Vasarely s’est installé avec sa femme, dont il a eu deux enfants. Mais c’est aux côtés de Denise René, nouvelle galeriste de la scène parisienne, spécialisée en art abstrait, qu’il vit une passion à la fois amoureuse et artistique. Au sein de la galerie Denise René, il côtoie d’autres artistes et y puise une énergie créatrice nouvelle. En 1947, le plasticien et sa maîtresse partent en voyage à Belle-Île.

«  Vasarely trouve dans la petite île du Morbihan le décor idéal pour poursuivre son travail de recherche. Il ne fonctionne pas comme les autres peintres qui installent le chevalet et utilisent leurs palettes de couleurs. Il préfère se promener avec un simple carnet sur lequel il prend des notes ou dessine de petits croquis. Le soleil, le ciel, les brumes et les nuages circulent en toile de fond. Il plonge son regard jusqu’au moindre détail d’un galet ou d’un coquillage poli par les vagues, à la recherche de sa géométrie interne. Les images s’immiscent dans son cerveau pour aboutir à des dizaines d’esquisses dans lesquelles les objets disparaissent pour laisser place à des formes ovoïdes symboliques de ce séjour et de cette période de création. Les galets ramassés sur les plages voyagent avec lui jusqu’à Paris. De ce petit butin il va créer ses propres trésors.

J’ai été attiré dans les galets de Belle-Île, par ce poli né de la vague et par la variété infinie des formes ellipsoïdales qu’ils acquièrent. Cette matière, qu’un jugement hâtif déclare être à l’état brut, est pourtant dotée d’une forme abstraite très pure. C’est avec l’idée de respecter absolument la pureté naturelle de ces formes que j’ai eu l’idée de faire un tableau intitulé Belle-Île, où étaient inclus des galets et des verres de roulage, comme on appelle parfois ces fragments de verre poli, dans une nappe de plâtre liquide. Le passage du naturel à l’abstrait se faisait ainsi avec une sorte de spontanéité tout à fait naturelle ».[6]

Le tournant des années 50

Au sortir des années 40, Vasarely s’oriente de plus en plus vers une peinture scientifique en lien avec les avancées contemporaines, et s’éloigne du surréalisme. Sa peinture, qui s’inspirait de l’industrie pour aboutir à un art géométrique, puise désormais aussi dans le vocabulaire de la nature, à la fois microscopique et macroscopique.

«  Voir le monde autrement, telle est son ambition et pour cela il faut inventer son propre langage, avec un alphabet qui lui est personnel, comme l’a fait Herbin.
Il ne sera pas un héros du surréalisme, malgré le soutien d’André Breton. Les années Cinquante vont être l’occasion pour lui d’inventer son univers. La lecture assidue de revues et de livres scientifiques qu’il collectionne et conserve précieusement va l’aider. Il s’est intéressé dès 1929 aux travaux sur la mécanique ondulatoire du prix Nobel Louis de Broglie. Il trouve chez les scientifiques des débouchés pour son imaginaire. Sa conviction est déjà qu’un artiste contemporain doit accompagner les courants inventifs de son époque. Or, le XXème siècle est marqué par la contribution des sciences et des techniques qui en découlent. Il faut donc s’en faire l’écho. Vasarely n’a pas la prétention de faire une application directe de la mécanique ondulatoire, juste de s’en inspirer. Il prône un art en harmonie avec la physique et les mathématiques :

L’idée du spirituel dans l’art a longuement prévalu, mais il serait mortel de la considérer comme immuable. Je ne peux plus admettre un monde intérieur et un autre, extérieur, à part. Le dehors et le dedans communiquent par osmose : l’univers spatial-matériel-énergétique-vivant-sentant-pensant forme un tout indivisible. {…}

L’univers de Vasarely s’exprime sous forme de longues lignes parallèles noires et blanches que croisent des lignes obliques, avec au centre un losange blanc. Libéré du carcan de la « peinture de chevalet », il explore de nouvelles voies et veut vivre son travail sans faire de concessions. La vibration optique est désormais sa marque de fabrique, alliant une parfaite maîtrise technique à une imagination sans limite. Le spectateur est acteur des expositions. Par ses déplacements, c’est lui qui fait exister l’œuvre d’art. »[7]

Usant du vocabulaire géométrique de la nature et des lois qu’elle s’est donnée, Vasarely renvoie également aux nouvelles technologies, dont les formes se géométrisent, à l’instar des pixels qui naissent alors sur les écrans d’ordinateurs. Son art est abstrait, géométrique, coloré, mais renvoie à la fois au vivant – la Nature – et à la culture industrielle et scientifique de l’Homme, véritable credo d’un artiste passionné par ces deux domaines et qui croit à cette double dimension de la nature humaine.

L’année 1948, le voyage à Gordes et la période « de Cristal ».

En 1948, avec Deyrolle, Dewasne et d’autres artistes de la galerie Denise René – elle-même faisant partie du voyage- Vasarely part passer les vacances d’été à Gordes. Ce voyage marque une étape décisive dans les choix stylistiques et artistiques du peintre, qui observe les illusions d’optique et l’impact du soleil méridional sur la perception. Dès lors, son art géométrique se concentre sur le trompe-l’œil et les mécanismes perceptifs.

« L’illusion d’optique se manifeste plus particulièrement avec le jeu des couleurs. Un rouge sur un fond bleu est toujours perçu en avant. Il est impossible à l’œil de le faire reculer. En revanche, un bleu sur un fond noir donne le résultat inverse. Mais dans la plupart des cas, la situation pour l’œil est beaucoup moins évidente. {…} Vasarely multiplie les expériences sous le soleil qui joue avec les formes.

Pour lui, c’est la synthèse de ce qui a précédé. Dans la structure minérale de la montagne mise à nu, il retrouve les brisures de la station Denfert-Rochereau transposées à l’échelle microscopique. L’abbaye de Sénanque, monastère cistercien du XIIème siècle situé à quelques kilomètres, lui procure une émotion intense devant la découpe d’une petite fenêtre dans un mur épais. Le carré qui paraît noir vu de l’extérieur devient éblouissant de lumière à l’intérieur. Victor Vasarely écrit alors :

Un petit fenestron carré, ouvert dans un grand mur, diffuse tant de lumière. Cette même ouverture, vue de l’extérieur, se métamorphose en un cube immatériel, noir, insondable. Villes et villages méridionaux dévorés par un soleil implacable m’ont réservé une perspective contradictoire. Jamais l’œil ne réussit à identifier l’appartenance d’une ombre ou d’un pan de mur : pleins et vides se confondent, formes et fonds alternent. Tel triangle s’unit tantôt au losange de gauche, tantôt au trapèze de droite, tel carré saute plus haut ou vacille vers le bas, selon que je l’accouple à une tache vert sombre ou à un morceau de ciel pâle. »[8] Avec ces inspirations issues des observations du maître, l’art abstrait géométrique va devenir l’une des voies les plus suivies de l’art moderne. Et si les formes comptent, les choix de couleurs sont primordiaux dans le jeu de l’illusion.

Le début des années 1950 et le choix de la couleur pure

« Dans ce domaine, Vasarely est devenu un expert. Le plus grand nombre {de couleurs} est utilisé tel quel, sortant du tube. Il a une nette préférence pour le violet de cobalt, le jaune de mars, le jaune de chrome clair, l’indigo, le rouge de cadmium, le pourpre, le violet de mars, couleurs toujours utilisées à l’état pur. Très performant dans les mélanges de couleurs, il obtient les noirs froids avec du noir de pêche et du bleu outremer ; les noirs chauds avec du noir d’ivoire et de la laque de garance foncée ; le noir olivâtre avec du noir d’ivoire et du jaune de cadmium foncé ; le noir brunâtre avec du noir d’ivoire et du jaune de cadmium.

Vasarely ne dépasse pas quatre ou cinq couleurs pour une toile, par exemple : vert de cobalt clair, vert de cobalt foncé, indigo et noir chaud. Il essaie toujours d’arriver au maximum d’intensité lumineuse.

Il a pris l’habitude de noter au dos de ses tableaux la composition des couleurs qui les constituent, et parfois même sous quelle sorte de lumière ils doivent être regardés. Certaines œuvres peuvent même être accrochées dans deux, trois ou quatre sens, ce qui est indiqué sur la flèche signalétique de la toile. »[9] Ainsi, le choix des coloris est érigé en une véritable science afin que l’œil humain se perde dans les créations abstraites de l’artiste.

L’année 1955, l’exposition Le Mouvement à la Galerie Denise René.

Cette exposition va marquer un tournant dans la carrière du maître, qui connaîtra dès lors une notoriété internationale.

«  L’idée de Vasarely est simple : les œuvres qui seront exposées bougeront ou devront pouvoir bouger. L’idée lui vient d’abord des tableaux de Malevitch, Carré blanc sur fond blanc et carré noir sur fond blanc. La sensation visuelle est saisissante : les carrés noir et blanc pivotant autour de leur axe vibrent immédiatement sur le damier et ajoutent aux formes en deux dimensions, mouvement, espace et temps, par leur action sur la rétine. Les travaux de Louis de Broglie, sur la mécanique ondulatoire, passionnent aussi depuis longtemps Vasarely. Il pense que le cinétisme doit jouer un rôle particulier dans le domaine des arts plastiques. Une telle exposition peut défricher le terrain et, qui sait, s’imposer comme un tournant majeur pour la création. »[10] Vasarely organise donc une exposition d’art abstrait géométrique, d’art que l’on peut déjà considérer comme cinétique – puisque Vasarely est considéré comme le père de l’Op-Art.

Le Manifeste

« La galerie n’ayant pas les moyens de se payer un beau catalogue sur papier glacé, Denise et Victor décident de faire imprimer un simple dépliant qui sera distribué aux visiteurs. Écrit sur un papier de couleur qui va donner son nom à ce document fondateur, le Manifeste Jaune est aujourd’hui collector. Vasarely y jette les bases de la plastique cinétique. Il annonce la naissance d’une nouvelle ère artistique. Rappelant à ses yeux la décadence de la peinture traditionnelle, il affirme que « Le Mouvement » ne relève pas de la composition ni d’un quelconque sujet, mais de l’appréhension par le regard qui est le seul créateur. »

« L’historien d’art suédois Pontus Hulten est choisi comme commissaire de l’exposition. »[11] Ce choix n’est pas le moindre, car le suédois est amené à devenir un grand conservateur. Pontus Hulten sera en effet, plus tard, le premier directeur du Centre Pompidou, où est toujours présent un portrait du président Georges Pompidou réalisé par Victor Vasarely dans son style cinétique si caractéristique.

L’année 1959, le dépôt du brevet de l’Unité Plastique

C’est en 1959 que Victor Vasarely élabore les bases incontournables de son art géométrique, qu’il avait déjà pressenti devant les carreaux du métro parisien, devant la fenêtre de l’abbaye de Sénanque et devant l’observation, plus globalement, de la nature et de ses lois. Cet art abstrait déjà mis en place dans ses créations publicitaires et dans ses œuvres, il en pose dès cette année-là les bases formelles, la syntaxe codifiée. « En 1959, Vasarely a ainsi déposé le brevet de l’ « unité plastique », qui se compose de deux éléments combinés : un fond carré et une forme géométrique simple. A partir de là s’élabore l’ « alphabet plastique » qui permet « la fabrication industrielle des unités plastiques sous forme d’éléments de toutes matières, de toutes couleurs et de toutes grandeurs ». Il prolonge ainsi le travail d’Herbin en allant beaucoup plus loin. L’alphabet plastique est le point de départ du système de production que met en place Vasarely. Le principe est simple. Il se compose d’unités faites de deux éléments s’emboîtant l’un dans l’autre pouvant permuter et se combiner également avec d’autres. Il suffit par exemple de prendre un carré qui joue le rôle d’un fond, et d’y inclure des formes géométriques plus petites, cercle, ellipse, rectangle, triangle, losange ou même un autre carré. Sur ce jeu de formes vient se greffer un jeu de couleurs. On y trouve un jaune de chrome, un vert émeraude, un bleu outremer, un violet de cobalt, un noir et un blanc. Vasarely compose, à partir de ces couleurs de base, une gamme de nuances allant du très clair au très foncé. Il fait ensuite imprimer par un procédé sérigraphique, des milliers de feuilles de chacune des nuances et découpe à l’emporte-pièce les formes sélectionnées. Il est alors tel un imprimeur qui possède, disposés face à lui, les différentes lettres rangées dans des casiers selon leur type de caractère et leur taille. Une fois l’alphabet établi, et avec le schéma d’une œuvre en main, n’importe quel bon exécutant peut faire le travail. C’est la raison qui pousse Vasarely à former une équipe autour de lui. »[12] L’art géométrique de Vasarely est un art résolument moderne, tourné vers l’industrie, que l’artiste prend pour modèle jusque dans l’organisation de son travail. Son choix du travail en équipe et de la division des taches ne peut être analysé qu’à l’aune de la modernité, tout comme l’art moderne d’Andy Warhol et de sa fameuse « Factory » dont le fonctionnement est alors similaire. Pour le premier, il s’agit de proposer un art abstrait reprenant les codes de l’industrie, pour le second de créer un art célébrant les nouveaux mythes du capitalisme industriel à travers une méthode de travail en série. Dans chacune des deux démarches, le procédé industriel est à la base de la création artistique. Ces deux précurseurs que sont Warhol et Vasarely vont marquer l’art moderne, et même l’art contemporain de leur nouvelle manière de travailler, érigeant l’artiste au rang de concepteur, et faisant souffler sur l’art un vent de démocratisation et de multiplication du bien artistique.

La Postérité et le Marché :

L’art abstrait géométrique, ou plus précisément, l’Op Art, est considéré comme un des grands mouvements de l’art abstrait d’Après-Guerre. A ce titre, son fondateur, Victor Vasarely, figure auprès d’autres grands artistes de l’Art Moderne comme une référence incontournable de l’art abstrait français. En conséquence, ses œuvres connaissent un succès qui renaît depuis l’année 2019, année qui marque la réouverture de la Fondation Vasarely, ainsi que la première grande rétrospective du maître organisée au Centre Pompidou. « Chez Sotheby’s à Paris, le 19 octobre 2018, dans le cadre de la vente du collectionneur belge Oscar Mairlot, le lot 229, une superbe huile sur toile, Ezinor, peinte par Vasarely entre 1949 et 1953, a été adjugée 187 500 euros, dans la fourchette haute de l’estimation. L’acquéreur, conscient d’avoir fait une bonne affaire, affichait un large sourire lorsque le marteau de la commissaire-priseuse, signant la fin des enchères, lui a confirmé son achat.

Un mois plus tard, à Varsovie, le 29 novembre 2018, le lot n°116, « Nebulus », une très belle acrylique sur toile de Victor Vasarely de 1978 est vendue 550 000 euros. »[13] La saga Vasarely se poursuit donc, pour le plus grand plaisir des amateurs.

La Galerie Hurtebize à Cannes, spécialisée en Art Moderne, et plus précisément en art abstrait, défend l’art géométrique de ce précurseur, tout en mettant en valeur l’art abstrait lyrique des autres grands noms de l’art moderne à la française. La Galerie propose deux peintures de Vasarely aux côté des œuvres de Georges Mathieu, Pierre Soulages, Hans Hartung, tous emblématiques de la grande aventure de l’art abstrait.


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Marie Cambas

Dernière arrivée dans l’équipe, Marie est diplômée de l’Ecole du Louvre et de la Sorbonne en histoire et en histoire de l’art. Spécialisée en peinture ancienne, elle se tourne ensuite vers l’art Moderne et intègre la galerie en 2018.

[1] Philippe DANA et Pierre VASARELY, Vasarely, une saga dans le siècle, Calman Levy, Paris, 2019., [2]  p. 36., [3] p. 50-51., [4] p. 54-55., [5] p. 58., [6] p. 106., [7] p. 108-109., [8] p. 114., [9] p. 122-123., [10] p. 136., [11] p. 138-139., [12] p. 162-163, [13] p. 192-193.