John Levée : le plus français des américains de Paris
John Levée est un artiste au style marquant, qui proposa une abstraction lyrique très brute et personnelle avant de s’engager dans une évolution géométrique, pendant un temps, pour finalement revenir à la spontanéité première qui caractérise sa peinture.
Si son œuvre est aujourd’hui surtout connu des amateurs, l’artiste américain a pourtant marqué la scène internationale par son travail puissant et évocateur.
John LEVÉE, Nov III, 1955
Retour sur ce peintre discret mais décisif dans le panorama de l’art abstrait d’après-guerre.
John Levée est né en 1924 à Los Angeles. Il a commencé la peinture très jeune, partageant à ses débuts un atelier avec Jackson Pollock. Il est alors étudiant à l’Art Center School de New-York. Puis, grâce à une bourse militaire, il arrive à Paris en 1949 et étudie à l’Académie Julian. Il découvre le travail de l’Avant-Garde française, et notamment de l’École de Paris, qui déploie alors les différentes sensibilités qui vont caractériser l’art abstrait français, de Lanskoy à Hans Hartung en passant par Soulages, Schneider et Mathieu.
Dans le magazine Cimaise paru en juillet-août 1962, Georges Boudaille écrit : « Ce n’est pas seulement le plus français des artistes américains de Paris, c’est un peintre de synthèse par excellence.
Parce qu’il a pris le temps d’apprendre à fond son métier, parce qu’aucun parti pris ne l’a empêché d’étudier l’histoire de l’art, parce que son intelligence lui a permis de tirer la leçon de l’œuvre des chefs de file de l’École de Paris, parce qu’il n’a jamais été impatient de s’imposer et de se faire connaître, la peinture de John Levée est aujourd’hui une des plus fortes et une des plus complètes de sa génération ».
Et pour cause ; l’œuvre de Levée s’offre à la vue, toute en superpositions de matières et en empâtements, en vivacité de touches et dans des compositions aux formes complexes. Le peintre y expose une conception de la Nature très personnelle, éminemment gestuelle et enlevée, et que nous ne retrouvons chez aucun autre peintre français de la période.
Au carrefour des influences de Clavé, Soulages et même Braque et Picasso, comme le souligne la critique Lydia Harambourg dans son Dictionnaire de l’École de Paris[1], Levée est, comme le dit Boudaille, un peintre de la synthèse, qui use de ces influences afin d’exploiter une nouvelle voie de l’abstraction, encore inédite, où il exprime toute sa singularité.
Mais John Levée n’est pas seulement un peintre érudit, conscient de tous les courants abstraits qui se déploient dans le monde. C’est aussi un grand technicien, dont la rigueur « stimule la spontanéité créatrice {…} qui parvient à une subtile synthèse entre matière – il travaille ses empâtements au couteau et les glacis et les transparences au pinceau- dessin, rythme des formes, couleur et lumière dans une composition ayant ses résonnances personnelles. »[2]
Les toiles April 1st et Nov III, proposées par la Galerie Hurtebize à Cannes, montrent bien ce travail extrêmement recherché de John Levée. La composition d’April 1st exhibe un vide central autour duquel s’articulent des coulées de peinture savamment travaillées par l’artiste, tandis que Nov III valorise la matérialité de la peinture, dans des teintes brunes terreuses qui célèbrent la Nature.
John Levée expose seul dès 1951 à la Galerie 8. La même année il débute au Salon d’automne. En 1958 c’est à la Galerie de France qu’une exposition lui est consacrée, puis en 1960 et 1962. Il exposera deux fois à la Closerie des Lilas dans les années 1980’s, mais c’est surtout aux Etats-Unis et à Londres, chez Gimpel fils, et chez André Emmerich à New-York, qu’il expose le plus régulièrement. Repéré parmi les « Peintres Américains en France » chez Carven en 1956, et dans quelques autres expositions collectives (Galerie de France, Musée des Arts Décoratifs), c’est surtout dans le monde anglo-saxon que John Levée évolue. Ses œuvres sont donc aujourd’hui présentes dans les grands musées américains, comme le Guggenheim Museum, ou le MoMa, preuve que cet artiste discret a marqué la scène internationale de ses œuvres à la fois brutes et spirituelles.
Ainsi, de l’alliance du mouvement et de la couleur naît une œuvre singulière et intense, à retrouver sur les cimaises de la Galerie Hurtebize à Cannes.
Marie Cambas
Dernière arrivée dans l’équipe, Marie est diplômée de l’Ecole du Louvre et de la Sorbonne en histoire et en histoire de l’art. Spécialisée en peinture ancienne, elle se tourne ensuite vers l’art Moderne et intègre la galerie en 2018.
[1] Lydia HARAMBOURG, L’École de Paris, 1945-1965, Dictionnaire des peintres, Ed. Ides et Calendes, Neuchâtel, 2010, p.307 : « Malgré certaines influences passagères comme la virtuosité graphique de Picasso, les riches empâtements de Braque, la rigueur de Soulages, les séductions de Clavé, la parfaite maîtrise de son métier lui permet de poursuivre avec lucidité la voie qui lui paraît être la plus adaptée à son expression. »
[2] Ibidem, p.307.