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L’œuvre sensuelle et spontanée de Catherine Thiry naît de la rencontre des mains du sculpteur avec la terre. C’est dans ce dialogue tactile qu’elle puise son inspiration ; « Je ne choisis pas mes sujets, ils s’imposent [1]», nous confie-t-elle. Catherine Thiry modèle la terre selon sa technique si particulière, faite de reprises, d’épaisseurs et d’irrégularités qui valorisent la matérialité de l’œuvre. Une fois le geste terminé, l’artiste confie son travail à sa fonderie partenaire. Cette dernière emploie le procédé de la cire perdue pour rendre fidèlement les beaux accidents du modelé, dans un bronze qui semble animé. Y apparaissent les aspérités, les volumes, et même les empreintes digitales de l’artiste, témoignages de la rencontre magique entre ses mains et la terre glaise.

Lorsque l’œuvre naît, Catherine Thiry ne sait pas ce qui va émerger de la terre. Elle raconte :

« Le titre vient après, parce que j’ignore ce qui va être dit pendant la création…
 Comme disait Edward Hopper : « Si vous pouviez le dire avec des mots, il n’y aurait aucune raison de le peindre. »
 Ce qui s’exprime est au-delà des mots et de mon conditionnement.
 Je n’écoute que mes sensations et j’essaye d’éviter au maximum d’avoir un avis, une pensée ou un jugement sur le résultat.
 C’est le geste qui me guide vers ce qui est neuf à chaque instant, la vie !
 C’est la danse avec la terre qui me conduit là où plus rien n’a d’importance sauf l’intensité du présent.
 Donner un nom, un titre à ce qui se joue au coeur de l’atelier est dérisoire à mes yeux.
 J’essaye juste qu’il n’abîme pas, ne limite pas trop, le petit morceau d’infini que j’ai eu la joie de connaître, en vivant cette expérience.
 J’ai envie de partager ce qui nous relie, nous unit, ce qu’il y a entre les lignes, sous la surface. J’ai envie de connaître ce que les gens sentent, non ce qu’ils pensent.
Si je suis obligée de donner un titre, j’aimerais qu’il permette d’emmener quelqu’un dans les méandres de ses propres sensations. 
 Je voudrais qu’il induise uniquement des questions vers lui-même, et je ne souhaite pas donner d’explications.
 Un peintre dont j’ai oublié le nom disait : «  Lorsqu’une oeuvre à besoin d’une explication… l’explication, elle, n’a pas besoin de l’oeuvre. » ».

Catherine Thiry offre donc pour chaque création un concentré de vie, d’émotions et d’instincts ; une bribe d’infini, comme elle le suggère elle-même. Son art est empirique avant tout et s’ancre dans une recherche du sensible.

La Galerie Hurtebize a choisi de défendre la beauté de sa poétique en proposant plusieurs pièces de l’artiste : des bustes, comme Sagace et Panacée, des portraits, comme Le Kid, Effigy ou Ma Parole, mais aussi d’autres types d’œuvres, comme Paradigm, Tempera et Lucid. Ces trois sculptures racontent le sentiment humain à travers l’emploi de la figure animale. Toutes ces pièces sont des bronzes originaux, dont la forme, la taille et la patine ont été soigneusement élaborées par leur créateur.

Voici un texte que Catherine Thiry affectionne particulièrement. Il nous permet de saisir la dialectique qui s’opère entre rudesse et élégance, artisanat et raffinement des émotions, qui constitue l’enjeu majeur de l’œuvre du sculpteur :

« Catherine a des mains blessées, de travailleur de force,
de lavandière ancienne.
Elles dansent devant vous quand elle parle.
Elle les broie quand elle tresse la carcasse filaire, qui sera l’os
et le fil de la neuve chose qu’elle dresse hors de terre.
Elle les tient chaudes pour approcher la glaise qu’elle torture
et caresse. Elle les noue sur le cou, le dos, le ventre et les joues
de ce qui lui sort des doigts : le vif, le beau, chaud.

Catherine sculpte et peint. Elle sculpte comme elle peint
et fait le chemin inverse de l’œil à la main.
Il faut laisser ses éclats de vie, quasi monochromes sur toile,
brutalement écaillés en bronze, surgir d’elle et vous envahir l’œil,
le cœur et la main qui s’avance pour toucher
la caresse crûe qu’elle leur a donnée
Catherine est une force nature,
qui prend à bras-le-corps les formes qui germent en elle
depuis des lunes , depuis l’enfance.
Catherine ne ressemble à rien, elle invente.
D’un geste, elle capte le mouvement suspendu d’un homme
que le doute blesse, l’intime conviction alanguie d’une « petite »,
le pas infini d’un poney minuscule ou le regard éloigné d’un «cador»
dont elle ne livre que la tête émergée.
De coup de pouce, il me semble, en coup de poing aussi sans doute,
elle taraude la terre, la tord, la plaque, en fait une carapace
qui gaine l’instant funambule que son œil a capté.
Etrangement, le passage au bronze sublime cette instantanéité.
Jamais elle ne tombe dans la redite, l’automatisme.
Sa liberté me sidère et me touche.
Catherine peint, et sa peinture lui ressemble bien.
Libre et mouvante, émouvante,
comme les regards qu’elle détaille, voile ou gomme délibérément.
Les visages humains émergent, interrogent
ou s’abîment dans des teintes folles et profondes.
Catherine sculpte et peint, droit au cœur.
Elle met son bleu à l’âme, mais brandit feu et flammes
sans peur, en toute liberté.
Car il y a de l’allégresse dans son art et une force pénétrante mêlées,
qui surgissent d’elle et prennent à la gorge comme un chagrin d’enfant.
Je n’ai plus rien à dire en mots,
je veux laisser ses mains d’ouvrière inouïe
remuer ciel et terre
et la laisser, de ses doigts
toucher le cœur de la couleur du temps. [2]»

Venez découvrir notre parcours d’exposition où les œuvres des maîtres de l’art abstrait – Hans Hartung, Georges Mathieu, Pierre soulages, John Levée, Jean Miotte, Jacques Germain – s’accordent et interagissent dans une union parfaite avec le parterre de sculptures de Catherine Thiry. Thiry est une sculptrice de l’intensité, du geste fort, tout comme les artistes abstraits et modernes ouvrirent la voie à la peinture du Moi sensible par une gestuelle spécifique. C’est cette même volonté de liberté d’expression et d’universalisme qui coordonne le dialogue des œuvres modernes et des sculptures contemporaines de la Galerie Hurtebize.


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Marie Cambas

Dernière arrivée dans l’équipe, Marie est diplômée de l’Ecole du Louvre et de la Sorbonne en histoire et en histoire de l’art. Spécialisée en peinture ancienne, elle se tourne ensuite vers l’art Moderne et intègre la galerie en 2018.

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[1] Toutes les citations sont issues d’une correspondance électronique entre Catherine Thiry et Marie Cambas le lundi 6 mai 2019.

[2] Texte inédit de Marinette ADAM.

Crédit photo : © Gwendoline de Backer