Gérard Schneider a sans aucun doute le coup de brosse le plus brut et spontané de tous les artistes abstraits lyriques des années 1950-1960. Sa gestuelle est incomparable et reconnaissable ; on ne peut la confondre avec la rigidité contrôlée d’un Hans Hartung, la calligraphie orientaliste d’un Georges Mathieu, ou la gestuelle jazzy d’un Jean Miotte.

Son geste volontairement plus brouillon représente ce que l’art abstrait lyrique a de plus essentiel. C’est pourquoi le grand critique Michel Ragon n’hésite pas à écrire : « L’abstraction lyrique s’est surtout incarnée dans Gérard Schneider, comme le cubisme dans Picasso »[1].  Cela ne veut pas dire que Gérard Schneider soit l’initiateur du mouvement, ni son unique représentant, cela veut dire que les envolées picturales brutales de Schneider incarnent la quintessence même de ce mouvement et de ses intentions, à savoir un élan spontané et intérieur se reflétant par une gestuelle abstraite instinctive.

Pourtant, Gérard Schneider a une éducation artistique des plus classiques. Né d’un père ébéniste à Neuchâtel, il étudie l’art traditionnel et académique en Suisse avant d’arriver à Paris, à l’âge de vingt ans, afin d’étudier à l’École des Arts Décoratifs puis aux Beaux-Arts. Tenté un moment par le cubisme, il se plaît à répéter « j’aime tous mes classiques », mais dès l’année 1935, il abandonne la figuration pour l’art abstrait. A partir de 1930 déjà, son style s’achemine vers l’abstraction, et est ainsi qualifié par Michel Ragon : « l’élan du geste, une violence contenue, la lueur d’une coulée de pâte blanche »[2]. Pendant un temps, Schneider hésite entre la non-figuration et l’abstraction – voir notre Gros Plan en fin d’article.

Proche du mouvement surréaliste, Schneider écrit des poèmes, où cette fureur silencieuse s’exprime aussi bien que lorsqu’il prend ses pinceaux. Daniel Chabrissoux en réfère à Loïs Schneider dès juillet 1991 : « Le trait est un élément dominant, un travail de vitesse où le mouvement est primordial, mais aussi cette rupture avec la nature où l’on cherche à l’intérieur de soi la source de l’inspiration.  C’est le surréalisme qui a apporté cela, ce fut très important pour la naissance de l’abstraction lyrique et aussi pour les artistes américains. »[3]

Gérard Schneider ne se rapproche pas alors des autres artistes de sa génération, qui tendent vers une abstraction plutôt géométrique. Artiste érudit, son inspiration vient à l’inverse du surréalisme, de cette manière nouvelle de chercher un élan créateur au plus profond de son subconscient et de son intimité.

A la fin de la guerre, il commence à exposer avec des artistes abstraits tels que Marie Raymond, Jean Deyrolle ou Hans Hartung, avec lequel il créée un groupe informel d’artistes qui souhaitent travailler l’abstraction d’une manière nouvelle, en se laissant porter par leur élan créateur. S’y rallient Michel Atlan, Serge Poliakoff, Pierre Soulages et d’autres qui deviendront les grands représentants de l’art abstrait lyrique en France.

C’est surtout avec Hans Hartung et Pierre Soulages que Schneider forme un trio durable aux multiples expositions et succès.

Les années 50 sourient en effet à Gérard Schneider, alors au faîte de sa gloire.

Charles Estienne, le grand critique, écrit dans la revue Combat le 30 avril 1947 : « A la galerie Lydia Conti, Schneider s’est attaqué au problème le plus difficile, celui de tout dire dans une forme abstraite, en s’en tenant aux deux dimensions du plan. Le voici aujourd’hui en pleine possession de ses moyens d’expression ; tantôt il nous semble romantique, se fiant plus à son graphisme et à son trait, aux taches de couleurs éclatantes, pour s’exprimer d’une manière lyrique, tantôt, il semble plus classique, et supprime tout espace inutile dans le jeu serré des formes. Mais sa peinture a toujours un contenu intérieur nécessaire et suffisant, et l’accord coloré qui résume finalement le tableau est d’une richesse sans emphase et d’une sûreté qu’il faudrait être aveugle pour nier. Belle leçon que je dédie à beaucoup de jeunes peintres. »[4]

Tout comme les autres représentants de l’art abstrait lyrique, Hans Hartung, Georges Mathieu, Pierre Soulages, André Lanskoy et les autres, Gérard Schneider est présent sur les cimaises de la Galerie Hurtebize à Cannes, qui promeut cette période de création libre et intense dans la France de l’après-Guerre.

L’œuvre Opus 71-C de Schneider, une huile sur toile de 1957, est dans la lignée du travail décrit par Charles Estienne. L’artiste y développe son lyrisme si brut et reconnaissable, à coups de brosse large denses en matière, éclairés par des taches de couleurs qui contrastent avec le noir des barreaux qui s’étalent sur le fond bleu nuit de la composition. Sa proximité avec Hartung et Soulages se ressent dans cette composition où figurent les fameuses « poutres » décrites par Hans Hartung, typiques selon lui des artistes lyriques et des abstraits américains de cette période[5]. Ainsi, par ses formes et ses harmonies colorées, cette œuvre puissante témoigne de l’œuvre spontané de Gérard Schneider, qui a sans cesse cherché son inspiration au plus profond de lui-même.

Gros plan : l’Art selon Gérard Schneider : Art non figuratif ou abstraction ?

Beaucoup d’artistes de cette période abandonnent la figuration de leurs débuts pour l’abstraction. Mais il est difficile de définir leur art ; est-ce de la non-figuration ou bien de l’abstraction ? André Marfaing, par exemple, se refuse à employer le terme d’art abstrait, lui préférant celui d’art « non-figuratif ».

Qu’en est-il de Gérard Schneider ?

C’est Michel Ragon, dans sa magnifique somme sur le peintre, qui nous l’explique :

Il cite Gérard Schneider, qui explique avoir abandonné l’art figuratif vers 1937 – en réalité, dès les années 1930.  « J’abordais l’abstrait, vers 1937, par quelques créations imaginatives directes, dira-t-il en 1985 à Gérard Xuriguera. Ce n’était pas encore de l’abstrait, mais de l’abstraction. »

Ce qui différencie l’abstrait de l’abstraction, Gérard Schneider reviendra souvent sur ce sujet (…). Avant la guerre, Schneider abstractise des formes ; après la guerre, il travaillera directement dans l’abstrait, sans aucune référence au monde visible. »[6]

C’est en 1945 que Schneider affirme par une phrase-manifeste le tournant de son orientation. Il est alors définitivement passé du côté de l’abstrait, sans référence au réel, et se sépare des non-figuratifs -Bissière, Bazaine, Manessier, Lapicque et les autres, qui conservent des références au réel dans leur peinture.

En effet, c’est au Salon des surindépendants de 1945, que Schneider expose une peinture, Les Pendus, qui n’a de figuratif que le titre. Il inscrit sous la reproduction de ce tableau son adhésion à l’art abstrait, qui s’éloigne définitivement du non-figuratif : « Les nouvelles possibilités de la peinture abstraite s’orientent vers un contenu expressif et dramatique de la création de ses formes. Dans l’abstraction la peinture trouve l’indispensable à sa fin technique et explosive en excluant les éléments extérieurs inutiles. »

Ainsi, l’abstrait comporte une expressivité qui devient une fin en soi. C’en est fini du rapport au réel dans la création, il n’y a que le réel des émotions « explosives » de Gérard Schneider lui-même, et de sa gestuelle picturale qui s’affirme en tant que telle, sans volonté illusionniste.

Venez retrouver nos œuvres de Gérard Schneider exposées à la Galerie Hurtebize à Cannes, ou sur notre site internet www.galerie-hurtebize.com


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Marie Cambas

Dernière arrivée dans l’équipe, Marie est diplômée de l’Ecole du Louvre et de la Sorbonne en histoire et en histoire de l’art. Spécialisée en peinture ancienne, elle se tourne ensuite vers l’art Moderne et intègre la galerie en 2018.

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[1] Michel RAGON, Schneider, Expressions Contemporaines, Angers, 1998.

[2] Michel RAGON, Schneider, Expressions Contemporaines, Angers, 1998, p. 19.

[3] Propos rapportés et publiés par Michel Ragon, in Schneider, Expressions Contemporaines, Angers, 1998, p. 26.

[4] Charles ESTIENNE, in Combat, 30 avril 1947.

[5]Hans Hartung, Autoportrait, Les presses du réel, 2016, première édition Grasset, 1976, p.223 : « Avant la guerre, mes taches avaient commencé à aller de pair avec de larges barres sombres préfigurant ces « poutres » qui, pour beaucoup de peintres (Franz Kline, Soulages, et moi-même encore), allaient jouer, après-guerre, un grand rôle. »  

[6] Michel RAGON, Schneider, Expressions Contemporaines, Angers, 1998, p. 19.