Né en 1926 à Paris, Jean Miotte ne se destinait pas à une carrière de peintre. C’est pendant la guerre qu’il est amené à prendre les pinceaux afin d’orner les murs d’une caserne à la demande de ses supérieurs. Puis, immobilisé par une longue hospitalisation, il commence réellement à peindre en 1945. Alors figuratif, même si déjà le trait tend à la rapidité plus qu’à la recherche de la représentation parfaite, il visite autant d’expositions qu’il le peut et fréquente les ateliers et artistes de l’avant-garde réunis à Paris venant de divers horizons : de Zadkine à Severini en passant par Sam Francis, il se dirige vers l’abstraction dès la fin des années 40 pour trouver réellement sa voie en 1950.

Ce qui l’intéresse, c’est le mouvement. Très influencé par les univers de la danse et du jazz, il trouvera son propre style par une chorégraphie, une construction de formes qu’il obtiendra d’un geste à la fois spontané et savant, quasi instinctif mais hautement médité, très proche de l’art japonais issu du zen et par la vibration qu’il trouvera dans l’utilisation des couleurs confrontées au noir. Il concentre sur l’espace de la toile des formes chromatiques mouvementées, fulgurantes et maîtrisées et cherche à créer un univers, un cosmos intime de ses propres sensations. Chez Miotte, comme le souligne Marcelin Pleynet, le vécu l’emporte sur le savoir[1].

 

« … à 30 ans il est déjà en pleine disposition de moyens qui ne sont qu’à lui, et la fin des années cinquante et le début des années soixante vont voir naître un prodigieux ensemble de peintures »[2]

L’œuvre que nous vous présentons ici, datée 1955-1960, est tout à fait emblématique des recherches picturales de l’artiste à cette période charnière de sa carrière.

Traitée à l’huile (qu’il abandonnera pour l’acrylique dans les années 1970), travaillée dans la texture de la peinture comme il a pu le faire avec le goudron quelques années plus tôt, cette toile illustre parfaitement la prédilection de l’artiste pour les couleurs et pour le geste.

Si le noir domine ici encore comme dans les œuvres antérieures, le blanc et sa lumière trouvent une place prépondérante. Ajouté par petites touches épaisses par-dessus le noir, le blanc crée des ouvertures et se confond en certains endroits au fond de la toile resté brut.

La palette chromatique est très étendue avec une présence forte des couleurs primaires mais également des complémentaires aux tons chauds qui apparaissent dans le fond et se mêlent au noir. Miotte passe de l’utilisation du pinceau-brosse en aplats quasi-géométriques (rouges, bruns et gris) à une trace fine et ronde tout en arabesque du jaune, appliquée d’un geste lyrique qui donne vie et vibrations à l’œuvre. Il s’inspire des recherches de Léger, Delaunay et plus encore Matisse dans sa volonté de « libérer la couleur ». Il est aisé ici de sentir l’envolée de la main de l’artiste qui créé une abstraction chaude, exubérante et généreuse.

huile sur toile vert marron de Jean Miotte de 1960

Le traitement de l’espace est également particulier à l’œuvre de Jean Miotte : les couleurs semblent aller au-delà de la toile, sans limite, donnant ainsi une impression d’ouverture et de continuité alors même que le support est d’un format moyen. D’ailleurs, d’année en année, l’artiste travaillera sur des toiles de plus en plus grandes afin d’élargir encore l’étendue de son geste devenu écriture. Comme l’exprimera Emile Bernard suite à ses nombreuses conversations avec Vincent van Gogh : « Nous avions formé ce projet de dessiner comme on écrit et avec la même facilité que le feraient un Hokusaï ou un Outamaro ». Le mouvement, le signe, le geste doivent se faire et se maitriser dans le but d’atteindre à l’automaticité de la peinture, comme celle de l’écriture si chère aux Surréalistes. C’est également la conviction de Jean Miotte : la peinture est un geste que l’on porte en soi par lequel l’artiste donne corps à ses sensations, ses émotions.


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Maud Barral

Après une expérience de 15 ans passés aux côtés de Jean Ferrero, directeur de la galerie historique de l’École de Nice et des Nouveaux Réalistes, Maud a ensuite défendu la jeune création contemporaine durant 5 ans, au sein de sa propre galerie, avant de rejoindre l’équipe de la Galerie Hurtebize en 2015.


[1] MIOTTE, Marcelin Pleynet, édition Cercle d’Art Paris 1993, p.14

[2] Op. cit. p.19