La peinture abstraite au couteau de Jacques Germain, à la fois structurée et lyrique, est défendue depuis de nombreuses années par la Galerie Hurtebize à Cannes, spécialisée en art moderne.

Jacques Germain est en effet à considérer comme l’un des grands acteurs de l’art abstrait lyrique de l’après-guerre en France, au même titre que Georges Mathieu, Jean Miotte, Hans Hartung, Pierre Soulages, André Lanskoy ou Gérard Schneider.

Seul artiste à avoir jamais étudié au Bauhaus de Dessau, et à y avoir suivi les cours de Kandinsky et Albers, son style est unique, et rappelle celui d’un autre immense artiste de cette époque, ayant travaillé en parallèle aux États-Unis : le canadien Jean-Paul Riopelle. Leur sensibilité s’est écrite au même moment, sans qu’ils aient connaissance l’un de l’autre, en une musique picturale très similaire. Outre ce rapprochement, le style de Jacques Germain est unique, surtout si on le compare aux autres abstraits lyriques français.

Du Bauhaus, Germain conserve un amour de la structuration par lignes verticales et diagonales, que l’on retrouve dans toutes ses compositions. Cependant, c’est entre les lignes que ses envolées de couleurs se juxtaposent pour former les rythmes vibrants qu’on lui connaît. La force de sa peinture réside dans la touche au couteau, brève, violente, et répétée, dans un travail tout en matière qui retient l’œil. La recherche sur la couleur est aussi spécifique à l’artiste ; à l’instar des grands maîtres hollandais du XVIIème siècle, Jacques Germain élabore une peinture tonale faite de camaïeux et qui se fondent en une unité colorée à dominante tantôt bleue, tantôt rouge, tantôt plus pale.

Dans son Dictionnaire des peintres intitulé L’École de Paris 1945-1965[1], Lydia Harambourg revient sur cet artiste abstrait à l’expression si personnelle. Elle nous offre un aperçu dense et précis de la production de Jacques Germain, disponible dans le gros plan de cet article. La carrière de Germain, à la suite de ses études, se tisse entre Paris, l’Allemagne et la Suisse. Il y côtoie de nombreux artistes, comme Serge Poliakoff, Georges Mathieu ou Jean Fautrier.

C’est dans cette émulation constante où chacun développe ses propres tics picturaux que le style de Jacques Germain s’affine et s’affirme. La Galerie Hurtebize retrace donc son parcours en proposant ses œuvres parmi celles des autres peintres de la scène parisienne des années d’après-guerre ; Schneider, Hartung, Mathieu, Soulages… Dans le parcours de l’exposition permanente, c’est cette diversité qui est proposée à la vue du spectateur, pour se promener le temps de la visite au cœur de l’École de Paris, au tournant de la Seconde guerre Mondiale, au cœur de l’art abstrait et de la modernité.

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Gros plan : Lydia Harambourg, pour une biographie de Jacques Germain.

Très tôt défendue par Jean Grenier, la peinture de Germain s’inscrit dans ce vaste mouvement de l’art abstrait en France, qui se développe après la guerre. Laissons la parole à l’écrivain philosophe pour évoquer les débuts de l’artiste : « Et lui, dès l’âge de seize ans, cédant aux suggestions de ses parents qui voyaient accompli le déclin des Beaux-Arts, est entré dans ces écoles où l’art se renouvelait au contact de la science et de l’industrie, où l’affiche triomphait de la toile et l’épure du croquis… » (in Catalogue, exposition de groupe galerie Jacques Massol 1959). Dans un premier temps sur les conseils de Blaise Cendrars, il étudie à l’Académie moderne avec Fernand Léger et Amédée Ozenfant (1931), mais dès 1932 il part en Allemagne et travaille au Bauhaus de Dessau avec Kandinsky et Albers. En pleine montée du nazisme, il reçoit là l’enseignement le plus avant-gardiste qui soit, se mêlant sur le terrain aux expériences et découvertes plastiques, assistant à la naissance des théories les plus audacieuses dans une émulation intellectuelle rare, qui prendra fin avec les hostilités. Il étudie la publicité et les arts graphiques à Francfort avec Baumeister. 1936 le service miliaire le rappelle en France, puis c’est la guerre, la captivité en Allemagne. « Revenu de la guerre, je me suis vite aperçu que j’avais beaucoup à apprendre. J’ai commencé par la peinture figurative… Je ne suis pas devenu non-figuratif parce que je l’ai toujours été naturellement. Ainsi lorsque j’ai voulu m’exprimer, dire quelque chose de moi, m’engager j’ai ressenti aussitôt le besoin de peindre sans montrer des objets, réels ou imaginaires… « Faites ce qui vous passe par la tête » me disait Léger… Ce beau conseil de liberté ne pouvait s’appliquer pour moi que par la non-figuration » (in Jean Grenier, « Entretiens avec dix-sept peintres non-figuratifs »). Il peint alors dans un style abstrait géométrique dont le caractère décoratif lui semble un risque.

Dès 1947, il envoie une toile aux Surindépendants et participe à l’exposition de groupe « White and Black » avec Fautrier, Hartung, Wols, Georges Mathieu, Bryen, Seuphor, à la Galerie des Deux Îsles où l’année suivante il fait sa première exposition particulière, préfacée par Marthe Robert, écrivain, qu’il a rencontrée au Bauhaus et qui est devenue sa femme. On peut lire : «  Ce qui frappe avant tout dans la peinture de Jacques Germain, c’est qu’elle est la restitution, sur le mode impersonnel, d’une épreuve affective, soumise en dernier ressort aux lois invariables de la peinture… » Constatant que la magie de l’objet s’épuise et que la montée de l’abstraction est la conséquence de la régression accélérée de la pensée magique et fétichiste, elle précise : «  Un tel refus… ne ressortit jamais dans la peinture de Jacques Germain à une détermination théorique ou à un parti pris d’agressivité. Il est à la fois traduction d’une conscience aiguë de la dépossession des objets et moyens de défense contre la dépossession. Mais ce qu’il importe surtout de voir dans cette peinture qui se maîtrise pour tendre à la rigueur, c’est qu’en redistribuant la lumière, en privant la couleur de son monde corporel conforme à la tradition optique, elle se restitue à elle-même une architecture et un ordre ». Germain ne déviera pas de cet engagement, acquérant avec les années plus de liberté picturale, dans un éclatement coloré d’un extrême raffinement – caractéristique de sa peinture – , et en un enchevêtrement apparent seulement de lignes verticales et diagonales organisées dans des faisceaux chatoyants, tantôt qui s’élargissent ou bien se resserrent et dont la maîtrise ne dessert nullement cette effusion, ce lyrisme qui lui est si personnel.

En 1949 toujours, il expose aux Réalités Nouvelles, Salon auquel il sera fidèle jusqu’à aujourd’hui. C’est l’époque de sa grande amitié partagée avec Antonin Artaud rencontré en 1946 et auprès duquel il se rend chaque jour, pendant une période, pour travailler à ses côtés dans une pièce du pavillon de la Maison de la Santé où il est interné.

1951 exposition particulière Zimmer – Galerie Franck à Francfort.

C’est l’année où il débute au Salon de Mai qui l’invitera régulièrement jusqu’en 1962 et il figure à l’exposition « Tendance » Galerie Maeght avec Poliakoff, Pallut, Kelly et Palazuelo, pour laquelle Charles Estienne publie dans la revue « Derrière le miroir » (octobre 1951) un texte intitulé « L’Art est une réalité ».

1952 et 1953 Charles Estienne le fait participer à son Salon d’Octobre. 1953 voit sa seconde exposition particulière parisienne, Galerie Pierre. Ch. Estienne écrit : « Enfin, Germain est abstrait… mais il fait mieux encore : sur des rythmes simples, mais sans raideur il pose de larges touches de couleurs pures dont la clarté mélodique… sait s’imposer à qui a l’oreille fine. Étape par étape l’art de Germain a trouvé un ton dont la qualité et la modestie sont également exemplaires » (in « Et voici la rentrée des barbares », « L’Observateur » 6 juin 1953).

Expose pour le prix Lissone, Milan, et la galerie Dupont à Lille présente un ensemble de ses œuvres.

1954 exposition particulière préfacée par Pierre Courthion, galerie Michel Warren à Paris qui le présente de nouveau en 1956 (gouaches).

Ses prestations seront régulières : 1955 A.P.I.A.W. Liège.

1957 galerie Kaiser, préface de Guy Weelen.

1958 et 1959 galerie Jacques Massol.

R.V. Gindertaël pointe avec sa lucidité habituelle, sa sensibilité alliée à sa grande connaissance de la peinture, ce qui fonde la peinture de Germain, dans ce texte de première importance pour que nous le reproduisions : « La poétique de Germain… s’appuie sur des qualités picturales…  Sa peinture est, en effet, de substance savoureuse et ses harmonies colorées sont d’une complexité symphonique et d’une vibration tonale exceptionnelles…Non moins admirable que son métier et ses dons est la maîtrise avec laquelle il accorde ses élans lyriques à l’équilibre d’une composition dominée dans le moindre de ses détails et surtout aux constantes de son expression personnelle d’un mouvement intérieur à l’unisson des grands rythmes de la Nature non point visuellement remarqués et pittoresquement traduits, mais intuitivement perçus et manifestés par un acte pictural de participation. L’œuvre de Germain est l’une de celles, très rares encore, dans lesquelles s’affirme le dépassement de l’art abstrait conceptuel autant que celui des conventions figuratives, et qui retrouvent, à notre époque, par une voie naturelle le sens profond de la nature » (in « Les Beaux-Arts » Bruxelles 1959).

A la même époque, J. Grenier capte l’essentiel de cet art : « On est séduit dès l’abord par un foisonnement de tons…Il y a un jeu de transparences…au-dessous d’elles les couleurs vibrent, suivant des accords subtils et des harmonies raffinées… Ce sont ces carrés, ces losanges, ces trapèzes, ces rhombes qui se pressent en bataillons serrés et forment une texture substantielle…Toutes ces figures sont en mouvement dans une direction qui nous est suggérée plutôt qu’indiquée. Tout lyrisme digne de ce nom comporte sous-jacents, une ordonnance et un mouvement, une force intérieure… » (texte pour Germain in « Groupe » galerie J. Massol 1959).

En 1958, il présente parallèlement aux huiles ses gouaches chez André Schoeller.

1960 exposition d’huiles sur papier galerie Dina Vierny, Paris.

1961 Dessins galerie Adrien Maeght (préface de Guy Dumur) et tableaux galerie Kriegel, Paris.

1963 huiles sur papier et gouaches, galerie Le Divan, Paris.

1964 gouaches, galerie Melisa à Lausanne.

1965 galerie Kriegel qui l’expose encore en 1969.

Puis ce sont les expositions plus récentes : galerie de Messine (monotypes) 1967, galerie Bongers 1968, galerie Sapiro 1974 et en 1980 et 1984 galerie Coard.

Parmi ses expositions de groupe citons : 1954 Dessins, Centre Saint-Jacques. 1955 « Peintres d’aujourd’hui France-Italie » Turin ; « Le Mouvement dans l’art contemporain », préface de Guy Weelen, Musée de Lausanne ; « Pittsburgh International, pour le Prix Carnegie ; « Expression et création » galerie Art vivant, 1956 « International Sezession », Leverkusen. 1957 « Biennale de la Jeune Peinture », Pavillon de Marsan, Paris ; « Germain-Debré » galerie Michel Warren ; « Exposition internationale d’Art abstrait » pour la sortie du livre de M. Seuphor galerie Creuze ; « Biennale d’Art abstrait » Bordeaux 1958 « Cinq peintres français » avec Busse, Cortot, Dimitrienko, Ravel, galerie Birch Copenhague ; « Convergence », galerie Art Vivant ; « Peintres d’aujourd’hui » Musée de Senlis. 1959 « John Moore Liverpool Exhibiton », Liverpool ; « Ecole de Paris », Manheim. 1961 « Irish international Exhibition of Modern Art”, Dublin. 1962 “De la rive droite à la rive gauche” présentée par J. Massol et J.R. Arnaud Musée de Verviers, Belgique ; « Trente-six dessins contemporains » galerie J. Massol 1965 Biennale d’Alexandrie. Complétées par d’autres depuis. (Liste complète dans monograhie 1990).

Participe à Comparaisons en 1957 et 1964, à l’« École de Paris », galerie Charpentier, en 1956, 1957, 1960, 1961 et 1962,  Grands et Jeunes d’aujourd’hui et Salon d’Automne.

Pour cet homme discret qui s’exprime par la peinture, les explications sont vaines. Aussi quelques rares confidences sont-elles précieuses. Dialogue entre raison et instinct. « La composition n’est pas pour moi préétablie, elle est une création et une écriture simultanément et la solution d’un conflit qui dure tout le temps de l’exécution du tableau. »

Pour conclure : « Un tableau réconcilie avec la vie, ou comme le dit Van Gogh, un bon tableau est quelque chose de consolant. » (in Jean Grenier : « Entretiens avec dix-sept peintres non figuratifs » Calmann-Lévy 1963).

1968 Œuvres des années 50-60. Galerie Jacques Barbier. Paris. Catalogue.

1987 Œuvres récentes. Galerie Barbier. Paris.

1988 Œuvres 1950-1960. Galerie Arnoux. Paris.

1989 Petits formats récents. Galerie Barbier-Beltz. Paris.

Musées : National d’Art Moderne, Paris – Art Moderne de la Ville de Paris – Lille – Lausanne – Brême – Bergen – Oslo.

Jacques Germain Monographie. Biographie et bibliographie complètes (textes et écrits critiques). Ed. Jacques Barbier-Caroline Beltz. Paris. 1990.


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Marie CAMBAS

Dernière arrivée dans l’équipe, Marie est diplômée de l’Ecole du Louvre et de la Sorbonne en histoire et en histoire de l’art. Spécialisée en peinture ancienne, elle se tourne ensuite vers l’art Moderne et intègre la galerie en 2018.

[1] Lydia HARAMBOURG, L’École de Paris 1945-1965, Dictionnaire des peintres, Éditions Ides et Calendes, Neuchâtel, 2010, p. 198-200.

[2] Ibid.