Jean-Jacques Marie et l’expressivité de l’abstrait
Jean-Jacques Marie est un artiste contemporain aux inspirations multiples et originales.
Autodidacte, il est attiré par le dessin et la couleur dès son plus jeune âge.
Mais ce n’est qu’après une longue période où l’artiste met de côté son talent au profit d’une vie plus conventionnelle qu’il se lance à plein temps dans la création.
D’abord peintre figuratif, il rencontre la calligraphie orientale, qui va bouleverser sa vie et son travail : dès lors, Marie tombe dans l’art abstrait, gestuel, et révèle l’expression puissante de sa spontanéité.
La Galerie Hurtebize propose en exclusivité nationale le travail de ce virtuose du pinceau, dont les sources d’inspiration traversent les cultures. L’Asie, l’abstraction américaine, le lyrisme français, telles sont les clés de voûte de son imaginaire, qui se déploie dans un déchaînement coloré sur la toile.
Retour sur la technique de cet artiste singulier.
Jean-Jacques Marie opère en deux étapes. Il prépare méticuleusement le fond de ses compositions : des aplats de couleurs et des dégradés créent une atmosphère poétique, tantôt sombre tantôt pâle, qui imprègne le tableau. Parfois, ce sont de larges coups de brosse noirs sur fond clair qui viennent animer le second plan, à la manière des calligraphes chinois.
C’est après cette phase que Marie, debout, les pinceaux à la main, joue avec les projections de couleurs pures, afin d’organiser dans un rythme saccadé la composition de son œuvre.
Le tableau qui prend vie dans le geste instinctif de l’artiste est le témoignage de ses sensations, la traduction physique de ses émois intérieurs.
Marie se confie sur son état de transe créatrice : « Il peut y avoir cet effet d’osmose, de confluence des émotions et subitement, je pars, je crie, je pleure. Je trace mon trait avec toute la puissance de mon corps. Il n‘y a plus de pinceau, il n’y a plus de main. Mon esprit ne fait plus qu’un avec le tableau »[1].
Selon les mouvements de son âme, la toile se trouve plus ou moins zébrée d’éclairs colorés, plus ou moins épais selon les détours et les insistances, dans une gestuelle qui sait se faire furtive, vivace, ou à l’inverse plus ample.
Jean-Jacques Marie est un peintre compulsif qui ne peut se passer de son mode d’expression. C’est dans son atelier près de Montpellier qu’il répète sans relâche ses mouvements créateurs, jour après jour, toile après toile. Cette quête insatiable le pousse à renouveler son langage pictural, dans les formes mais aussi les tonalités.
Car au-delà du geste inné, l’artiste est aussi un coloriste, qui a appris dans ses lectures des traités de Chevreul et d’autres théoriciens la puissance visuelle de la juxtaposition des couleurs. Son travail entre ombre et lumière, couleurs chaudes et éclairs glaciaux, met en jeu toutes les gammes du spectre lumineux.
Ainsi, de l’alliance du mouvement et de la couleur naît une œuvre singulière et intense, à retrouver sur les cimaises de la Galerie Hurtebize à Cannes.
Marie Cambas
Dernière arrivée dans l’équipe, Marie est diplômée de l’Ecole du Louvre et de la Sorbonne en histoire et en histoire de l’art. Spécialisée en peinture ancienne, elle se tourne ensuite vers l’art Moderne et intègre la galerie en 2018.
[1] Jean-Jacques Marie, in Diane de Carné, Jean-Jacques Marie, Les Fruits de la Métamorphose, éditions Charlène, 2018.
Serge POLIAKOFF, la quête de la pureté
C’est à la fin des années 1930, et en 1937-38 précisément, que Serge Poliakoff, artiste d’origine russe ayant fui son pays pour accompagner sa tante Nastia – une cantatrice de renom- dans une tournée des cabarets européens, s’oriente définitivement vers l’art abstrait.
Après une formation parisienne à la Grande Chaumière, il expose en 1938 une toile intitulée « Le Niveau », qui fera dire à Vassily Kandinsky, autre grand peintre russe, et pionnier de l’art abstrait : « Pour l’avenir, je mise sur Poliakoff ».
Serge Poliakoff deviendra en effet, en quelques décennies, l’un des artistes incontournables du mouvement abstrait français, et continue d’attirer l’œil des amateurs et des collectionneurs.
Poliakoff, issu d’une famille nombreuse moscovite, est un artiste total, très doué en dessin, mais aussi dans le domaine musical. C’est donc avec sa tante qu’il quitte à treize ans son pays natal afin d’accompagner la voix de Nastia à la Balalaïka dans toutes les capitales européennes.
Jamais il ne lâchera ce goût pour la guitare, même si peu à peu, ayant décidé d’arrêter la tournée pour se fixer à Paris, c’est son autre passion, la peinture, qui prend le dessus. La Slide School de Londres, où il étudie deux ans, 1935-1937, décide de son sort : Oui, Serge Poliakoff sera un peintre non académique, un peintre de la forme et de la couleur.
Revenu à Paris, il s’engage dans la voie de l’art abstrait, et expose rapidement avec Hartung, Schneider, Deyrolle, et toutes les figures marquantes de l’avant-garde abstraite française. Il est rapidement pris en main par la galerie Denise René qui concentre alors tout ce que Paris comporte de jeunes artistes orientés vers la nouvelle peinture. Il fréquente Sonia et Robert Delaunay, chez qui il se rend une fois par semaine, pour débattre de théories artistiques. Leur sens du colorisme et de l’imbrication des formes sera pour le jeune Serge une source inépuisable d’inspiration.
La matière et la touche pour faire vibrer les couleurs géométriques
En 1945, Poliakoff tient sa première exposition personnelle d’art abstrait à la Galerie Esquisse. François Chatelet écrit dans la préface du catalogue : « Pour Serge Poliakoff, l’abstraction n’est pas sécheresse ; la pâte dont il pétrit ses toiles n’est jamais à son gré assez riche pour sa propre richesse. »
La vibration des couches successives de matière apportées par Poliakoff à ses formes géométriques est célébrée par tous, et ce dès ses débuts. Le peintre revient à plusieurs reprises, en moyenne 3 ou 4 fois, sur ses compositions afin d’ajouter du relief et de la matérialité.
Plus tard, Jean Lassaigne, en 1957, écrira encore au sujet des expositions Poliakoff vues au sein de la Galerie Creuzevault (peintures) et de la Galerie Berrgruen (gouaches) : « Poliakoff a le goût des matières superbes qu’il pose par couches successives s’enrichissant l’une l’autre ; il semble qu’il accorde une importance de plus en plus grande à la touche qu’il pose en éventail autour d’un centre ».
Nous retrouvons cette vibration intense des rouges, des bleus, des verts et des roses dans la Composition Abstraite, de 1959, une gouache délicate où les touches de pinceau et les transparences de la gouache rythment avec douceur les formes imbriquées du peintre.
Poliakoff, une voie abstraite singulière
L’art de Poliakoff n’est ni vraiment géométrique, ni vraiment lyrique. Son art, toujours au carrefour de ces deux tendances de l’abstraction, cherche avant tout la pureté : Roger Van Gindertäel écrit à l’occasion de l’exposition organisée par la Galerie Bing en 1954 : « De deux lois : harmonie architecturale et rythme sensible, Poliakoff attend que son travail soit logique et discipliné sous un aspect spontané et libre ». Ainsi, mêlant aspect rigoureux et envolées émotionnelles, imbrication des formes et vibrations des couleurs et des touches, l’art de Serge Poliakoff est une troisième voie à l’art abstrait d’après-guerre en France. Poussé par son instinct vers la recherche de l’épure stylistique, son art joue sur tous les registres, tout en imposant son caractère unique dans le panorama de l’abstraction.
La spécialiste Lydia Harambourg résume ainsi l’art de Serge Poliakoff : « Une des particularités de la peinture de Poliakoff, et non des moindres, réside dans l’absence d’une réelle évolution, tout en se renouvelant sans cesse. (…) Démentant un empirisme qui n’est qu’apparent, sa toile présente un agencement de formes s’imbriquant avec une telle rigueur, qu’aucune d’entre elles ne pourrait se détacher de l’ensemble et si cela se produisait elle ne pourrait être remplacée par une autre et retrouverait naturellement sa place. Aussi éloignés de la moindre allusion figurative, comme de thèmes géométriques et encore moins d’une quelconque interprétation symbolique, ses compositions n’ont ni profondeur ni perspective, parce qu’elles engendrent leur propre espace, qui comme Poliakoff aimait à la répéter « fait la forme. » Dans une tentative pour définir sa peinture, il a déclaré : « Ce qui m’intéresse dans la peinture c’est sa pureté » »[1].
Ainsi, l’art de Serge Poliakoff réside dans cette quête de sobriété, qui ne nie pourtant pas l’émotion du sujet créateur. Laissons le dernier mot au critique Charles Estienne, grand ami des artistes, qui les recevait dans sa villa de Gordes, où séjourna aussi Serge Poliakoff. En 1951, dans la préface de l’exposition d’œuvres récentes qui eut lieu à la Galerie Dina Vierny, Estienne donne une définition subtile et émouvante de l’art de cet architecte des couleurs : « Une peinture dont la force et l’originalité sont d’unir le modernisme le plus aigu à la qualité, à la saveur picturale les plus évidentes et les plus généreuses… comment ne pas réagir d’emblée… à ce besoin inné et à cet instinct presque infaillible de la couleur et en même temps à ce sens mystérieux de la vie de tous… Abstrait, Poliakoff l’est totalement : mais il ne se contente pas non plus d’être non figuratif ; il nous propose des formes, mais de véritables formes… qui nous troublent et nous émeuvent comme seuls peuvent le faire tous les signes qui font allusion à ce profond monde poétique enseveli en nous, tel une seconde nature ».
Ainsi, l’art de Poliakoff, au carrefour de diverses influences et inspirations, comporte cette poésie presque magique, de retour aux formes primaires, primitives, évoquant l’essence de l’humanité.
Ainsi, de l’alliance du mouvement et de la couleur naît une œuvre singulière et intense, à retrouver sur les cimaises de la Galerie Hurtebize à Cannes.
Marie Cambas
Dernière arrivée dans l’équipe, Marie est diplômée de l’Ecole du Louvre et de la Sorbonne en histoire et en histoire de l’art. Spécialisée en peinture ancienne, elle se tourne ensuite vers l’art Moderne et intègre la galerie en 2018.
[1] Lydia HARAMBOURG, L’École de Paris 1945-1965, Dictionnaire des peintres, Éditions Ides et Calendes, Neuchâtel, 2010, p. 393.
Christo n’emballera pas l’Arc de Triomphe.
C’était le nouveau projet phare de l’artiste-emballeur, reporté à la rentrée 2021 pour cause de Coronavirus. Mais ce n’est pas Christo lui-même qui le réalisera. L’artiste s’est éteint avant-hier à l’âge de 84 ans dans son sommeil.
Une formation française
Artiste américain d’origine bulgare, c’est en France, aux côtés de sa femme, Jeanne-Claude, rencontrée à Paris en 1958, que le plasticien fait ses armes.
Entré dans le groupe des Nouveaux-Réalistes en 1963, aux côtés d’Yves Klein, Arman et les autres, le couple atypique se tourne vers le retour au réel, rejetant l’abstraction artistique alors en vogue.
Ce retour à l’expression du monde concret dans l’art ne passe toutefois pas par la figuration, considérée comme un écueil rétrograde, mais par la sélection d’éléments tirés du réel, accumulés, détruits ou détournés, dans la lignée innovante initiée par Marcel Duchamp avec ses ready-made. Les artistes développent des axes de travail originaux pour célébrer ou critiquer la société industrielle, dont celui proposé par Christo et Jeanne-Claude se rapproche d’un autre courant novateur : le Land Art.
Du toréro – souvent incarné par Annabel, sa muse – ou du taureau, qui n’est presque jamais représenté, qui est la bête ? Le bourreau, celui qui figure sur la toile, assurément.
La transfiguration de l’espace
Les deux plasticiens investissent les espaces créés ou modifiés par l’Homme, et en renouvellent la perception par leur action sur l’environnement : mise en place de portiques en tissu, emballage de monument, ombrelles géantes… Ce jeu sur la perception des espaces publics donne une nouvelle sculpturalité aux lieux phares choisis et ainsi transformés. Ils expliquent : « D’habitude, une sculpture normale, qu’elle soit classique ou moderne, a son propre espace physique. D’une certaine façon cet espace appartient à la sculpture car il a été préparé pour elle. Nos projets touchent une sensibilité plus vaste, en fait ils s’approprient ou empruntent des espaces qui habituellement n’appartiennent pas à la sculpture ».
C’est notamment le cas pour l’emblématique emballage du Pont-Neuf à Paris en 1985, ou du projet du Reichstag à Berlin, dix ans plus tard, considéré comme la réalisation la plus fameuse de Christo et Jeanne-Claude, et à redécouvrir dans notre Gros Plan en fin d’article. Le journal Le Monde s’en fait l’écho dans sa dépêche du 31 mai 2020 : « Mais l’empaquetage du Reichstag, dont on célèbre cette année le quart de siècle, restait leur grand œuvre. Celui qui eut l’écho le plus important avec quelque cinq millions de visiteurs. Celui que le public s’est d’emblée approprié, en organisant pique-niques et concerts sur les pelouses voisines. »[1]
Imaginé dès 1971, ce projet, une fois exécuté, a permis aux quelques 5 millions de visiteurs de redécouvrir l’espace du monument ainsi que sa place, par leur nouvelle sculpturalité, ainsi que – paradoxalement – par l’absence du bâtiment lui-même, voilé par la réalisation de Christo. Cette nouvelle manière de transfigurer l’espace public, ou l’espace politique dans ce cas précis, est voué à rendre le lieu aux citadins, et à rendre ces derniers acteurs d’un nouvel espace imaginé pour qu’ils se l’approprient.
C’est là tout l’enjeu des grands projets réalisés par Christo et Jeanne-Claude, qui ont rythmé la vie artistique de ces trente dernières années. L’usage de matériaux fragiles, comme le tissu, et la réalisation de projets éphémères marquent la beauté de leur art, à la fois puissant et furtif, soumis à la temporalité et indélébile de l’imaginaire collectif.
Gros plan : Le Reichstag : Le plus célèbre projet de Christo et Jeanne-Claude
L’emballage du Reichstag de Berlin a duré 14 jours, – du 25 juin au 7 juillet 1995.
Ce projet pharaonique a nécessité 24 ans de préparation, et mis à contribution 90 alpinistes et 120 ouvriers. Ce sont au total 70 panneaux de toile cousus au millimètre près sur mesure qui ont été installés pour recouvrir le bâtiment, soit 100 000 m2 de tissu argenté, ainsi que 15 km de corde bleue.
Comme toujours, le projet a été financé uniquement par la vente de planches, de plans et de maquettes préparatoires.
La Galerie Hurtebize propose un très beau projet en deux parties, plan et élévation du monument emballé, agrémenté du tissu-même ayant servi au projet, ce qui constitue une exception dans les projets dessinés par Christo et Jeanne-Claude.
Ce tissu a été choisi avec soin par le couple d’artistes afin de jouer sur la lumière et les ombres créés par les plis de l’étoffe, dans une dimension esthétique et sculpturale saisissante.
Au-delà de la beauté du travail de Christo sur le Reichstag, il faut voir dans ce projet une réalisation politique autour de la question de l’unification allemande : « Nous pouvons encore profiter de cet état de “Belle au bois dormant” qui est celui du Reichstag. C’est comme une énorme puissance en veilleuse. Aucun Allemand ne pensait voir de son vivant son pays réunifié. Le Reichstag fut construit pour être le siège du parlement d’une Allemagne unie. Je pense que tous nos projets arrivent au moment qui leur est propice. Aujourd’hui, le site présente un potentiel encore plus fort car le monde entier se pose des questions sur le futur de l’Europe et sur les orientations que prendra cette énorme concentration de richesse, de puissance économique et politique qui s’appelle l’Allemagne et qui projette une interrogation immense sur le vingt et unième siècle. »[2]
L’emballage de ce monument par Christo et Jeanne-Claude est resté célèbre à plus d’un titre, car il est à la fois emblématique de la poétique des plasticiens-emballeurs et du temps politique de réunification de l’Europe dans lequel il s’inscrit.
Venez le redécouvrir à travers le projet proposé par la Galerie Hurtebize à Cannes.
Christo et Jeanne-Claude, Wrapped Reichstag, 1984, Projet pour Berlin en deux parties. Technique mixte sur bois en deux parties. Crayon, fusain, collage, tissu sur panneau. 56 cm x 71 cm et 28 x 71 cm. Certificat de l’artiste.
Marie Cambas
Dernière arrivée dans l’équipe, Marie est diplômée de l’Ecole du Louvre et de la Sorbonne en histoire et en histoire de l’art. Spécialisée en peinture ancienne, elle se tourne ensuite vers l’art Moderne et intègre la galerie en 2018.
[1] Le Monde avec AFP, rubrique Disparition – Arts, « Emballeur du Pont-Neuf et du Reichstag, l’artiste plasticien Christo est mort à l’âge de 84 ans », 31 mai 2020, https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2020/05/31/l-artiste-plasticien-christo-est-mort-a-l-age-de-84-ans_6041346_3382.html
[2] J. Baal-Teshuva, Christo et Jeanne-Claude, Cologne, ed. Taschen, 1995, p.85.
Crédits photo : Reischtag : Imago/Rue des Archives / Portrait de Christo : L’artiste-plasticien Christo, le 15 mars 2013 à Oberhausen en Allemagne © Patrik STOLLARZ [AFP/Archives]
Bernard Buffet, « Grandeur et misère de l’homme »
Bernard Buffet a un style graphique puissant, radical, au trait noir reconnaissable au premier coup d’oeil.
Jeune prodige des cercles artistiques d’après-guerre, plebiscité par le public aux côtés de Bernard Lorjou dès son émergence dans le panorama des peintres parisiens, il a ensuite connu une période de flottement, fut souvent taxé de peintre mondain et commercial, avant de redevenir une figure incontournable pour les amateurs de la modernité, à l’échelle mondiale. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des artistes majeurs du XXème siècle.
Retour sur ce peintre essentiel de l’art moderne
A l’heure où les artistes veulent effacer les horreurs de la guerre en faisant table rase des traditions pour s’engouffrer dans la brèche de l’art abstrait, Bernard Buffet, lui, l’élève des Beaux-Arts et le futur académicien, prend la voie classique de l’art figuratif. Il choisit-même de réinterpréter les sujets types de l’art ancien – paysages, natures mortes, portraits. La Galerie Hurtebize propose le portrait d’Hervé Segard, l’un des tous premiers mécènes de l’artiste, que ce dernier a souhaité remercier par cette oeuvre. Cette toile est tirée d’une série de portraits de bienfaiteurs datée de 1955.
Cependant, tous ces sujets académiques, du portrait de commanditaire à la Crucifixion en passant par le boeuf écorché, Bernard Buffet les traite avec une patte expressionniste reconnaissable entre mille. Face à cette apparente contradiction,- tradition picturale contre innovation stylistique-, Bernard Buffet affirme au Figaro « Ma peinture n’a rien d’académique » (1).
L’art de Bernard Buffet, c’est finalement cela : reprendre les lieux communs de la peinture traditionnelle pour la révolutionner en profondeur, jouer avec ses codes afin d’opérer une distorsion du sens et des émotions.
A une période où les avant-gardes et l’abstraction se disputent les lauriers de la scène culturelle, le fait-même de s’inscrire dans la figuration constitue un défi, et témoigne d’une liberté totale et absolue, choisie comme seul fil conducteur de son oeuvre et de sa vie.
Les artistes et intellectuels d’après-guerre avaient en commun une obsession, celle d’exprimer les errances de la condition humaine, si bien racontée par André Malraux dans son livre éponyme.
Quand d’autres avaient voulu effacer l’homme de leurs oeuvres, Bernard Buffet avait lui choisi d’enfermer l’humain dans des cernes noirs, étirés et implacables, à travers tous les types de sujets que la peinture avait l’habitude de traiter.
La voie de l’abstrait fut pourtant, à cette époque, le chemin le plus emprunté par les artistes pour exprimer leur désarroi face aux événements qu’ils venaient de vivre, et qu’ils ne pourraient jamais oublier. Ce choix mena par exemple Mark Rothko à supprimer peu à peu de sa peinture toute trace de représentation humaine, laissant les plages de couleurs envahir toute la toile, selon la technique dite du « colorfield ».
Hans Hartung, lui, exprima son inquiétude à travers des barreaux qu’il appelait ses « poutres » pour enfermer les couleurs dans une prison de lignes.
Qu’il s’agisse de l’emploi du « colorfield », de la réalisation de prisons abstraites ou de l’emprisonnement de la figure humaine dans des cernes noirs violents et dramatiques, la volonté des artistes converge en un cri unique pour exorciser les monstres qui peuplent les cauchemars du monde de l’après 1945.
Jean Cocteau, qui a consacré à Bernard Buffet un poème – à retrouver dans notre Gros Plan en fin d’article -, lui décerne le titre de « prince des fleurs de l’encre et du fil de fer ».
Et pour cause ; son cerne noir qui dessine des paysages désolés aux arbres maigres, des visages longs ou des fleurs tranchantes, exprime une inquiétude existentielle, qui ne quittera jamais le peintre.
Pierre Bergé, qui fut durant huit ans le compagnon de Buffet, explique bien le symbolisme des choix iconographiques revisités par un peintre en proie au désespoir :
« Car il fut un révolutionnaire. Il sortait de la guerre et il savait que le monde ne serait plus jamais le même. C’est cela que sa peinture montrait : l’angoisse et le dénuement, la peur et la pauvreté. Ne nous y trompons pas, à cette époque c’est de cela qu’il voulait parler et, s’il s’est attaqué à un sujet aussi grave que la Passion du Christ, s’il a choisi des formats aussi grands, ce n’est pas par conviction religieuse mais pour décrire l’indicible. Jean Cocteau prétendait qu’un peintre fait toujours son propre portrait, même avec un paysage ou une nature morte. Cela est particulièrement vrai pour Buffet. Il ressemblait à ses toiles. Les poulets suspendus, c’est lui ; les harengs pitoyables, c’est lui ; les cyprès effeuillés par le mistral, c’est encore lui ; l’ange de la mort qui survole un champ de ruines, c’est toujours lui. » (2)
Quel que soit le sujet de sa peinture, c’est toujours la triste vérité de l’homme et sa vanité qui ressurgissent. Ces thèmes sont rehaussés par l’usage de tons mornes et grisâtres qui s’opposent en un contraste saisissant à des touches de couleurs presque criardes, violentes, qui hurlent la vulgarité de la nature humaine. Cet art si puissamment expressif, si inattendu, dénonce la laideur morale et la finitude dans un éclat de virtuosité à couper le souffle.
Du toréro – souvent incarné par Annabel, sa muse – ou du taureau, qui n’est presque jamais représenté, qui est la bête ? Le bourreau, celui qui figure sur la toile, assurément.
Une peinture qui se colore et se densifie à mesure que s’éloignent les cauchemars ?
Au début de sa carrière de peintre, entre les années 1940 et 1950, sa peinture est austère, notamment dans les couleurs grisées et ternes qu’il emploie presque en monochrome, et dans les constructions remplies de vides de ses compositions. « Sur ses toiles : des nus décharnés, des intérieurs misérables. Le réalisme désespéré de ses compositions enflamme l’après-guerre existentialiste » souligne Annick Colonna-Césari pour la Gazette Drouot. (3)
Son oeuvre tend par la suite à se colorer et à se densifier ; pour autant, elle n’en est pas moins dramatique dans le sens profond qu’elle entend toujours transmettre.
Dans les années 1970, en parallèle de son travail très graphique, il s’essaie à la réalisation de paysages au style plus « réaliste », qui sont aujourd’hui moins appréciés par les amateurs, mais toutefois d’une qualité picturale exceptionnelle.
C’est surtout à partir des années 80-90 que les couleurs kitsch envahissent la toile, notamment lorsque l’artiste représente des clowns, aux couleurs bariolées et aux expressions angoissantes.
Les phases de l’oeuvre de Bernard Buffet sont complexes et multiples, se dessinant au gré des voyages, et conditionnant des séries de toiles sur plusieurs thèmes – vues de New-York, de Venise, clowns, paysages bretons, toreros…- dont certains sont récurrents dans la carrière du peintre.
Dans ces sujets, les villes écrasent les hommes de leurs grattes-ciels menaçants, les kabuki japonais se font l’éloge du masque, du travestissement de l’âme, les paysages le reflet des idées sombres. Comme le souligne Otto Letze, « en traitant de la superficialité, de la banalité et de la monotonie, ses toiles montrent la société dans sa quotidienneté. Buffet partage avec les artistes pop un goût pour les objets ordinaires, les formes et les répétitions simples, les thèmes auxquels on ne portait jusque-là que peu ou pas d’attention. » (4) Même dans les objets les plus insignifiants se cachent des vanités que seul l’art de Bernard Buffet met en lumière, et dans l’absence de perspective, la platitude de la vie.
On constate que les couleurs s’invitent plus régulièrement dans ses oeuvres dès la fin des années 1950, et que les vides laissent peu à peu place à une foule de détails. La peur et l’horreur s’éloigneraient-elles à mesure que le temps passe ?
Rien n’est moins sûr. En 1993, Annabel Buffet écrit dans la préface de l’exposition « L’Empire ou les Plaisirs de la guerre » à la Galerie Maurice Garnier : « Des Horreurs aux Plaisirs de la Guerre, trente-huit années se sont écoulées. Que s’est-il passé ? Pourquoi cette volte-face ? Bernard Buffet aurait-il changé d’avis ? Son pacifisme notoire se serait-il endormi, usé par l’oubli ? Certainement pas. Ce revirement n’est qu’une apparence : une autre manière de dire sa révolte face aux inacceptables boucheries éparpillées sur la surface du globe ».
Celui qui aimait à dire que « toutes les époques sont clownesques » et que « la peinture est chose violente, pas tranquille » (5) n’aura donc de cesse jusqu’à son suicide en 1999 de dévoiler la « misère de l’homme », à travers une manière de peindre originale et inimitable.
Gros Plan : De Jean Cocteau à Bernard Buffet, le poème « Gisant Debout ».
Jean Cocteau, Hommage à Bernard Buffet – Gisant Debout
Catalogue d’exposition à la galerie Lucien Blanc :
Pièges à loup que pose une main enfantine
Parce qu’elle voulut (sous notre soleil noir)
Fils de fer barbelé cueillir vos églantines
Saigne l’Ève aux cheveux de pomme d’arrosoir.
Se peut-il que du ciel un instrument à anche
Dans le lit-cage allonge un semble-lys des chants
Et que médiévale une Ève aux larges hanches
Quitte un jardin Éden en proie aux chiens méchants ?
Après le mort aux dents que reste-t-il à prendre ?
Peut-être le fauteuil fantôme où l’on m’assied
L’ombre d’un bec de broc sur la carte du tendre
L’auto-stop arlequin des pylônes d’acier.
Que son fidèle ami lointaienement me sache
Bernard Bourreau pensif accoudé sur sa hache.
Jean Cocteau, Sils Maria, juillet 1955.
Marie Cambas
Dernière arrivée dans l’équipe, Marie est diplômée de l’Ecole du Louvre et de la Sorbonne en histoire et en histoire de l’art. Spécialisée en peinture ancienne, elle se tourne ensuite vers l’art Moderne et intègre la galerie en 2018.
(2) Pierre Bergé, « Il avait 21 ans et moi 19 », in Rétrospective Bernard Buffet, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, (exposition du 14 octobre 2016-26 février 2017), Editions ParisMusées, 2016, Paris, p.97.
(3) Annick Colonna-Césari, « Bernard Buffet artiste paradoxa » in La Gazette Drouot, 17 novembre 2016.
(4) Otto Letze, « Bernard Buffet – un regard allemand » in Rétrospective Bernard Buffet, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, (exposition du 14 octobre 2016-26 février 2017), Editions Paris Musées, 2016, Paris, p.224.
(5) Bernard Buffet in Jean-Pierre Frimbois, « Avant-Première » in Art Actuel, automne 1998.
Beaux Arts Magazine met en lumière 5 artistes de la galerie
Chu Teh-Chun, délicat paysage émotionnel
La belle gouache de Chu Teh-Chun récemment acquise par la Galerie met en lumière l’abstraction lyrique mêlée aux influences chinoises dont Zao Wou-Ki se fit également le chantre dans la France d’après-guerre. Ce délicat paysage émotionnel est tracé par la brosse toute orientale du peintre, qui se laisse aller à la spontanéité gestuelle propre à l’art abstrait occidental.
Hans Hartung libéré de toute tradition
Hans Hartung est l’un des grands pionniers de l’abstraction, champ de tous les possibles où son travail s’épanouit par le biais de ses multiples inventions d’outils. Ce très beau dessin de 1960 témoigne de son attrait pour les couleurs froides, dont cette teinte vert d’eau est toutefois assez rare, et de son obsession pour les barres, les lignes, qu’il appellera ses « poutres » dans son autobiographie (1). Ces sillons sont grattés à même la peinture, et illustrent la technique de grattage si typique du travail libéré de toute tradition promu par Hans Hartung, auquel la Galerie Hurtebize se consacre depuis plus de vingt ans.
Georges Mathieu explosif !
La personnalité explosive de Georges Mathieu se reflète particulièrement dans son oeuvre Fantômes Vermeils, de 1990, où le déchaînement gestuel de projections aux couleurs vives attire le regard. Premier « calligraphe occidental » comme le surnomma André Malraux, Georges Mathieu est l’un des grands inventeurs de l’action painting à la française. La Galerie Hurtebize travaille depuis de nombreuses années sur cet artiste haut en couleurs.
Le surréalisme doux et implacable de Joan Miró
Si l’art abstrait est célébré par la Galerie Hurtebize, cette dernière s’intéresse tout autant aux courants figuratifs de la période. Le surréalisme à la fois doux et implacable de Joan Mirò y figure en bonne place. Son « oeuvre au noir » intitulée Cap i Cua, projet de lithographie porté par la Galerie Maeght, met en scène l’imagerie propre à l’artiste espagnol. On y discerne un personnage au tracé synthétique, ansi que l’étoile-signature de l’artiste, véritable emblème de sa poétique tournée vers le rêve.
Jean Miotte : artiste insaisissable
La cinquième oeuvre-phare de la Galerie a été réalisée par Jean Miotte au tournant des années 1960. Artiste insaisissable, au carrefour de l’abstraction lyrique, de l’Art informel et des influences zen, ce peintre et sculpteur a eu une carrière internationale : Allemagne, Suisse, Etats-Unis, France. Jean Miotte est obsédé par le Jazz : ses rythmes saccadés traduisent la danse de son pinceau, tandis que ses harmonies de teintes le posent en maître coloriste, qui, à l’instar de ses amis futuristes italiens, a cherché à traduire le mouvement de la musique à travers la couleur. La Galerie Hurtebize lui consacrera prochainement une exposition monographique.
Marie Cambas
Dernière arrivée dans l’équipe, Marie est diplômée de l’Ecole du Louvre et de la Sorbonne en histoire et en histoire de l’art. Spécialisée en peinture ancienne, elle se tourne ensuite vers l’art Moderne et intègre la galerie en 2018.
(1) : Hans Hartung, Autoportrait, Les presses du réel, 2016, première édition Grasset, 1976, p. 223.
Œuvres et fiscalité : l’art, une valeur refuge ?
Depuis longtemps, les œuvres d’art constituent un type de bien dont la fiscalité est avantageuse en France. L’art est notamment, depuis 2018, exclu de tout impôt sur la fortune immobilière.
Le Leasing [1]
Entreprises et particuliers se lancent donc dans l’achat d’œuvres d’art afin de réaliser de véritables placements, à court ou long terme.
De manière de plus en plus systématique, les entreprises choisissent la formule du « leasing », une location de l’œuvre[2] qui peut à terme être acquise par la société.
Cela permet un étalement de l’achat entre 13 et 60 mois. Au terme du contrat de location, l’œuvre peut être achetée pour une valeur résiduelle correspondant à 7% de sa valeur initiale.
Une fiscalité propice à l’art contemporain et aux artistes
Les sociétés qui achètent des œuvres d’artistes vivants sont favorisées : si, durant la période de l’amortissement, elles exposent au public les œuvres achetées, elles peuvent en déduire le coût d’acquisition de leur résultat imposable.
De même, l’achat d’une œuvre est normalement soumis à une TVA de 20%, sauf lorsque l’acheteur acquiert un bien culturel directement auprès de l’artiste ou des ayants-droit. La TVA est alors réduite à 5,5 %.
La taxe forfaitaire sur la vente et l’alternative à long terme
Toute vente d’œuvre par un particulier reste soumise à une taxe forfaitaire de 6,5% sur le prix de vente.
Comme le notent les avocats consultés par le journal Les Echos[3], « Il est toutefois possible d’opter pour l’impôt sur le revenu au taux de 19 %, auquel s’ajoutent les prélèvements sociaux (17,2 %), applicable sur le montant de la plus-value. Cette option peut être intéressante car un mécanisme d’abattement de 5 % par année de détention à partir de la 3e année conduit à une exonération complète de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux au-delà de vingt-deux ans de détention. Cette option suppose toutefois de pouvoir fournir une facture d’achat pour établir à la fois la durée de détention et le prix d’acquisition de l’oeuvre cédée. Toute vente dont le prix de cession n’excède pas 5 000 euros n’est pas imposable. »
Ainsi, la taxe forfaitaire est intéressante pour des œuvres achetées récemment et dont la plus-value à la revente est forte, tandis que pour les œuvres conservées plus de 22 ans, il vaut mieux s’orienter vers le choix de l’impôt, qui s’annulera par abattements successifs au bout de cette longue période.
L’import/export à la française
Les œuvres importées en France depuis tout pays hors Union Européenne sont soumises à une TVA de 5,5%. Les exportations en sont exonérées. Aucun droit de douane n’est appliqué. Ce système est l’un des plus avantageux au monde.
Il reste toutefois une TVA de 10% à régler, applicable à la cession de droits patrimoniaux pour les artistes et les galeries d’art.
La donation et la dation
La donation d’œuvres d’art est soumise aux droits de donation.
Ces droits sont fixés en fonction du degré de parenté du donataire et du donateur.
Mieux vaut donc anticiper, en procédant par exemple au choix du présent d’usage du donateur envers le donataire, à l’occasion d’un évènement – anniversaire, mariage… Ce présent n’est pas taxé, et dès qu’il est effectif, il est exclu de la liquidation civile de la succession.
Ce présent d’usage ne doit cependant pax excéder les paliers suivants – déterminés selon le degré de parenté :
- 100 000 euros de parents à enfants
- 31 865 euros de grands-parents à petits-enfants
- 5 310 euros d’arrière-grands-parents à petits-enfants
- 80 724 euros entre mariés ou partenaires de PACS
- 15 932 euros entre frères et sœurs
- 7 969 euros entre oncles/tantes et nièces/neveux.
Comme le souligne Fabien Bouglé de la Gazette Drouot :
« À défaut, l’administration fiscale pourrait taxer le bien donné sur sa valeur actualisée (notamment en cas de contrôle au moment d’une succession ou de conflit familial), entraînant un montant de droits à payer supérieur. Au-delà du risque de taxation ultérieure de l’opération aux droits de succession, l’absence de révélation de la donation emporte également des conséquences pour le donataire en cas de cession. Il sera alors contraint d’acquitter la taxe forfaitaire de 6,5 %, calculée sur l’intégralité du prix de vente. En effet, en l’absence de preuve de l’acquisition, pour la détermination de la plus-value, aucun prix de revient ne pourra être retenu, ni de durée de détention décomptée. Cela empêchera donc le vendeur de bénéficier du régime des plus-values sur biens meubles avec un système d’abattement pour durée de détention, aboutissant à une exonération au bout de vingt-deux ans. »[4]
La donation avec réserve d’usufruit permet au donateur de conserver la jouissance du bien jusqu’à la fin de sa vie. Alors, seule la nue-propriété sera soumise aux droits de donation[5].
La solution de la donation-partage peut être envisagée : elle permet de céder des œuvres à plusieurs membres de la famille, en fixant le prix des biens culturels à un instant T, et de s’y tenir lors de la succession, même si la valeur marchande des œuvres a depuis augmenté. Cela permet d’éviter les litiges entre les membres héritiers.
Les héritiers peuvent aussi donner une œuvre à l’État afin de couvrir les frais de succession : c’est la dation.
Pour éviter de disperser une collection, si les héritiers ne sont pas intéressés par l’art, ou dans le cas de droits de succession excessifs (55% envers les nièces et neveux), il est également possible de donner sans frais des œuvres à un Musée National. Il est également envisageable d’en faire un fonds de dotation. En général, ces deux stratégies ne seront pas soumises aux droits de donation, et, à l’inverse, peuvent donner lieu à des réductions d’impôts sur le revenu.
Ainsi, la fiscalité française se révèle propice à l’achat et à la transmission d’œuvres d’art, pour les particuliers comme pour les sociétés. Le but est de favoriser les artistes vivants, de faire vivre un marché de l’art en attirant les entreprises, d’alimenter le patrimoine National via la dation et les donations aux Musées, mais aussi de réserver une niche fiscale à l’art dans un pays qui a drastiquement réduit sa politique dans tous les autres domaines concernant les avantages fiscaux. On peut donc dire sans équivoque que l’art reste une valeur refuge en France.
Marie Cambas
Dernière arrivée dans l’équipe, Marie est diplômée de l’Ecole du Louvre et de la Sorbonne en histoire et en histoire de l’art. Spécialisée en peinture ancienne, elle se tourne ensuite vers l’art Moderne et intègre la galerie en 2018.
[1] Compte 6068 du plan Comptable Général ; article 238 bis AB du Code Général des Impôts
[2] Les loyers sont déductibles du résultat imposable de l’entreprise.
[3] https://www.lesechos.fr/2018/05/loi-de-finances-2018-une-fiscalite-des-oeuvres-dart-toujours-attractive-989716
[4] https://www.gazette-drouot.com/article/donation-d-%25C5%2593uvres%25C2%25A0%253A-l-art-de-lutter-contre-les-idees-recues/7000
[5] Article 699 du Code Général des Impôts ainsi que l’âge de l’usufruitier.
La BRAFA – Brussels Art Fair, un salon d’exception.
Du 26 janvier au 2 février prochain va se dérouler le prestigieux salon BRAFA, pour sa 65ème édition.
Créée en 1956, cette foire internationale d’art – l’une des plus anciennes – est entrée dans le top 5 des grands rendez-vous annuels incontournables pour les amateurs et collectionneurs. Chaque année, elle marque le top départ de l’année artistique, annonçant déjà les différentes foires qui se succéderont. On la considère désormais comme un baromètre du marché de l’art, reflet fiable des nouvelles tendances.
Chaque année en effet, ce sont environ 66 000 personnes, amateurs et collectionneurs, qui s’y pressent pour découvrir et acquérir les pièces exposées.
Une large sélection de galeries triées sur le volet, spécialisées aussi bien en antiquités qu’en art moderne ou contemporain y présentent des œuvres d’une rare qualité. Ce sont au total 133 des plus belles galeries mondiales, issues de 14 pays différents, qui y participent. Elles représentent plus de 20 spécialités, de l’art Pré-colombien à la peinture flamande du XVIIIème siècle, en passant par le bijou vintage et le livre de collection, jusqu’à l’abstraction des années 1950 et à l’art conceptuel d’aujourd’hui. Il s’agit donc d’une sélection qui balaie les époques et les styles, mêlant tous les objets d’arts, et n’ayant pour seul critère que celui de l’excellence.
Plus de 100 experts travaillent pour cela à l’authentification des pièces proposées, assurant un contrôle sans faille de la provenance et de la certification des objets d’art.
Depuis 2004, la BRAFA prend place à Tour&Taxis, un magnifique complexe immobilier datant de la première ère industrielle bruxelloise en brique rouge, de plus de 15 000 m2.
Chaque année, des personnalités importantes du monde politique ou artistique parrainent ce salon, lui conférant un prestige toujours plus important.
La Galerie Hurtebize participe depuis de nombreuses années à ce rendez-vous immanquable, proposant un choix d’œuvres issues de l’art d’après-guerre français dans un stand où la scénographie met en avant un parcours d’exposition toujours original.
Georges Mathieu, Hans Hartung, Bernard Buffet, Victor Vasarely, André Marfaing ou Jean Miotte sont les noms désormais associés à la Galerie, qui a à cœur de promouvoir l’œuvre de ces grands artistes de l’art moderne.
Cette année, la Galerie proposera aussi en exclusivité le travail d’autres personnalités dont le renom n’est plus à faire : Marc Chagall, Wifredo Lam, Jean Cocteau ou encore Christo seront aussi présents sur les cimaises du stand 57A, qui s’étalera sur plus de 100 m2.
Focus : Une œuvre exceptionnelle de Jean Cocteau sur le stand 57A
L’œuvre de Jean Cocteau proposée par la Galerie Hurtebize est inédite, puisqu’elle figure dans le film Le Testament d’Orphée, dernier film et véritable testament de l’artiste daté de 1959.
Orphée à la Lyre est une œuvre à la craie blanche sur tableau noir, d’un mètre cinquante de haut sur deux mètres de large.
On la voit au début et à la fin du film, en guise d’incipit et de conclusion, en train de « se » réaliser. En effet, le trait blanc semble se former de lui-même, Cocteau s’effaçant pour mettre en scène cette auto-création du portrait du héros avec son instrument de musique.
Cette œuvre, tout comme le film, est en réalité un auto-portrait. Cocteau s’imagine en Orphée maîtrisant tous les arts, mais ayant un rapport spécial avec la Mort. Dans le mythe antique, le héros à la lyre est autorisé à descendre aux Enfers pour aller y chercher Eurydice, son épouse. La seule condition pour la ramener parmi les vivants est de ne pas se retourner. Mais alors qu’ils sont presque parvenus au bout du chemin, Orphée se retourne, et Eurydice disparaît à jamais.
Jean Cocteau a réalisé une pièce de théâtre ainsi que deux longs métrages sur ce mythe, qui traverse toute son œuvre, comme une obsession. Cependant, ce n’est pas sur la perte de l’être cher que se focalise son travail, à l’instar du mythe, mais sur l’inéluctabilité de la Mort, l’attraction qu’elle opère, seul phénomène auquel ne peut résister Orphée, artiste aux mille talents, qui séduit pourtant du son de sa lyre enchantée la faune, la flore, et même les Dieux. Rien ne lui résiste, si ce n’est l’Hadès qui s’ouvre à ses pieds.
Dans Le Testament d’Orphée, cette Mort se joue de l’artiste, qui l’attend désespérément, dans un temps infini qui s’étire d’anecdote en anecdote. Cocteau y joue lui-même un Orphée condamné à errer dans le temps et l’espace, rencontrant dans différentes temporalités toutes les personnes qui ont compté dans sa vie personnelle, de Picasso à Jean Marais.
L’œuvre Orphée à la Lyre, qui commence et termine le film, est donc d’une grande importance pour cet artiste polymorphe, à la fois cinéaste, écrivain, dessinateur et peintre.
Il est la dernière image de la bande originale, le point final de la carrière de Jean Cocteau ; en un mot, le véritable testament de l’artiste.
Marie Cambas
Dernière arrivée dans l’équipe, Marie est diplômée de l’Ecole du Louvre et de la Sorbonne en histoire et en histoire de l’art. Spécialisée en peinture ancienne, elle se tourne ensuite vers l’art Moderne et intègre la galerie en 2018.
Crédit photo : BRAFA 2019 – Stand Galerie Hurtebize © Fabrice Debatty – www.debatty.com
Découverte : Rencontre avec Michel MOUSSEAU
Michel Mousseau est un artiste contemporain défendu par la Galerie Hurtebize à Cannes.
Son travail sur le réel et la couleur, dans les années 1950-70, a évolué vers un art non-figuratif qui puise toujours sa source dans la Nature et les Éléments.
L’artiste nous en livre sa perception singulière à travers des œuvres empreintes d’une grâce et d’une force intemporelles.
Venez découvrir la douce poésie du Vivant proposée par Michel Mousseau sur les cimaises de la Galerie Hurtebize.
Michel Mousseau est d’abord un rêveur et un chercheur, un artiste forcené, à la fois auteur de tableaux, de dessins, travaillant sans relâche ; il s’est confronté à différents sujets, à la figuration, à la non-figuration, et a composé sur tous les formats.
Le peintre est aussi un illustrateur de recueils de poèmes.
Sa manière d’envisager le Monde et de nous la dire dans son œuvre est communicative, et l’on y reconnaît immédiatement la méditation poétique sur l’Homme et le Monde propre à ce libre penseur proche des milieux littéraires.
Son travail entre 1955 et 1970 met en scène des femmes nues et élégantes aux postures pensives, délicatement installées dans des intérieurs aux couleurs suggestives, mais aussi des natures mortes défiant les lois artificieuses de la perspective picturale classique, qui brouillent les pistes et nous invitent au voyage.
Il y a chez Mousseau un contraste entre la douceur des émotions et la vigueur de la technique, un jeu subtil entre rudesse calligraphique et sensibilité du sujet. Et, de façon paradoxale, l’un complète et valorise l’autre.
Le calme pensif de ses personnages contraste avec la force de son pinceau qui capte l’âme des éléments représentés dans des cernes noirs volontaires. Le geste spontané de Michel Mousseau propose aussi un jeu sur les épaisseurs de matière picturale, réaffirmant la matérialité de la peinture, et la présence du peintre. Cette matérialité revendiquée se pose à l’inverse de l’évanescence des figures représentées.
De même, à la subtilité des postures féminines se juxtaposent des effets de contrastes entre ombre et lumière presque saturée, ainsi que le dialogue des tons pastels opposés à une gamme colorée très vive. Ces couleurs fortes sont parsemées dans l’environnement tamisé des personnages à la peau blanche illuminée, et rehaussent de leur vivacité l’aspect presque immatériel de ces personnages livrés à leurs pensées les plus intimes, nous invitant à notre propre introspection.
Cette aventure sensible et empirique proposée par l’artiste se passe de toute notion de temporalité, et transcrit avec justesse la perception du monde de son auteur.
Le Grand Nu à la table proposé par la Galerie Hurtebize, ainsi que le Nu à la chaise Violette incarnent parfaitement cette phase du travail du peintre. Les nus pensifs accoudés à leur chaise, à la fois singuliers et impersonnels, en ce qu’ils représentent la quintessence de l’Homme, ont un visage indéfini. Leur corps vibre d’une lumière qui contraste avec l’intérieur grisé dans lequel il est représenté, et dans lequel s’invitent des plages de couleurs pures, qui annoncent déjà le futur travail abstrait de Mousseau, dès les années 1980, où les plages colorées finissent par envahir la toile.
L’artiste a cependant commencé non pas par figurer l’Homme, mais la Nature. Voici ses réponses aux questions que nous lui avons posées sur son œuvre[1] :
Comment êtes-vous venu à la peinture ?
« Peindre est un désir impératif qui m’est venu naturellement. J’ai très vite eu envie d’échanger le petit cartable d’écolier pour un chevalet de campagne. Je me suis d’abord confronté au paysage. J’habitais Sceaux. Au fond du Parc du château, enjambant la clôture, je me trouvais alors dans un endroit plus sauvage où, solitaire, je pouvais peindre.
Mousseau n’aura de cesse de revenir au travail in situ, au milieu de l’élément naturel, comme en témoigne son dernier travail en résidence au Domaine de Kerguéhennec.[1]
Parlez-nous de votre travail des années 60 et des sujets de vos toiles : nus féminins dans des intérieurs et natures mortes : quelles étaient alors vos sources d’inspiration ?
Ces toiles, je les ai réalisées dès que j’ai eu un véritable atelier à Paris. J’avais précédemment fréquenté un cours du soir boulevard du Montparnasse, et l’Académie Julian rue du Dragon où je travaillais le dessin d’après le modèle vivant.
J’aimais ces corps en mouvement dans l’espace de l’atelier et parmi les objets familiers alentour. L’inspiration, ce n’est pas particulièrement l’érotisme. Le corps, l’atelier, les choses se trouvent mêlés sous une même lumière, tout un monde.
J’ai travaillé là avec acharnement, comme toujours d’ailleurs, selon mon tempérament.
C’est donc le microsome de l’atelier et des nus y posant qui pousse Michel Mousseau à réaliser ses compositions des années 1955/70. S’y exprime donc, comme il le dit lui-même, tout un monde, ou plutôt, toute une réflexion sur le monde, à travers la vision de quelques meubles quotidiens et du mouvement corporel d’une femme. De l’anecdotique naît l’intemporel, du microcosme le macrocosme.
C’est précisément cette phase de son travail que présente la Galerie Hurtebize à Cannes.
Mais le travail de Mousseau ne s’arrête pas là, car ce travailleur acharné évolue et se libère des conventions. Peu à peu, dans les années 1980, ses œuvres muent vers une incarnation du sensible au travers de la couleur. Les formes se dégagent de l’illusionnisme et ne représentent plus le réel, mais les couleurs vibrantes de l’artiste portent en elles des sources toujours reliées au Monde et à la perception que l’artiste se propose de traduire de son pinceau.
Comme de nombreux artistes de cette période, dont certains sont représentés par la Galerie Hurtebize – Hans Hartung, Georges Mathieu, Jean Miotte, André Lanskoy, Gérard Schneider…, Michel Mousseau a choisi l’aventure de la non-figuration. Il nous explique :
C’est une évolution. En effet, ni narrative, ni anecdotique, ma peinture n’en est pas pour autant abstraite. Elle est intimement liée aux éléments du monde qui m’entoure.
Avec force, la couleur a pris toute la place. Les plans et les formes sont simplifiés au détriment des détails. L’espace tend vers le monumental, aussi bien dans les grandes toiles, de la taille d’un homme, que dans les petites toiles de la taille de la main. Par sa matière, la peinture garde cependant l’expression d’intimité et d’intériorité. Il s’agit pour moi de me tenir au plus près de cette lumière que j’ai le sentiment d’être seul à voir, et que je veux saisir, et que je veux transmettre.
A l’instar de certains artistes, comme André Marfaing, Mousseau ne choisit pas l’abstraction pure, mais la non-figuration, grâce à laquelle ce n’est pas le détail ciselé mais la quintessence, l’énergie vitale de ce qu’il voit qu’il traduit pour nous dans son langage coloré et dans ses formes de plus en plus synthétiques.
La couleur, il l’admire chez Delaunay, la force des formes concises, réduites à l’essentiel, chez Cézanne, et l’aspect brut et originel, chez Picasso. C’est ainsi qu’il résume lui-même les artistes qui l’ont inspiré dans sa jeunesse et au cours de sa vie artistique :
Au fil du temps, ce dialogue évolue et dépend des périodes.
Tout au début, j’ai découvert l’atelier de la mère d’un copain d’école. Au mur, d’authentiques toiles de Soutine et Modigliani. Peintre, cette femme avait été leur amie à Montparnasse. Puis, au cours de dessin du lycée Lakanal, le professeur m’ouvrit les yeux sur l’immense et simple modernité de Cézanne. Par la suite, dès les années 50/55, trois grandes toiles m’ont marqué, qui me hantent toujours. Les Ménines de Vélasquez, à Madrid où je séjournais comme étudiant boursier Zellidja, pour l’expression de l’espace et la définition singulière de la place du peintre.
Rythme, grand disque de Robert Delaunay, pour la joie et le dynamisme de la couleur. Les Demoiselles d’Avignon de Picasso, pour le côté primitif aux sources de la peinture, le territoire des origines. Plus tard, la découverte des peintres américains, Jackson Pollock, Richard Diebenkorn…
Ainsi, Michel Mousseau est un peintre passionné qui cherche sans cesse à traduire sa vision du monde avec ses outils et son langage propre, toujours en évolution. Il définit ainsi son rôle de peintre :
Donner à Voir ce que j’ai Vu.
L’échange a beaucoup d’importance. Un regard qui ne partage pas ce que j’ai fait, et mon travail n’est rien. Quand quelqu’un regarde avec intérêt, je me dis que j’ai bien fait. Si ça ne touche pas l’autre, alors je reste sur une île déserte.
Plus généralement tout acte de peindre, quand il est partagé, ouvre une fenêtre et agrandit notre perception du monde. »
L’artiste est donc un passeur, qui transmet sa perception du réel à tous ceux qui lèvent les yeux sur ses œuvres. Ce qu’il veut, ce n’est pas instruire mais provoquer une rencontre, un dialogue créateur entre l’œil du spectateur et l’œuvre.
La Galerie Hurtebize est fière de présenter le travail d’un artiste si singulier dans le panorama de la création des années 1960 jusqu’à nos jours, et vous invite à venir découvrir les visions du monde de Michel Mousseau dans son parcours d’exposition à Cannes.
Marie Cambas
Dernière arrivée dans l’équipe, Marie est diplômée de l’Ecole du Louvre et de la Sorbonne en histoire et en histoire de l’art. Spécialisée en peinture ancienne, elle se tourne ensuite vers l’art Moderne et intègre la galerie en 2018.
__
[1] Correspondance entre Michel Mousseau et Marie Cambas, datée du 11 décembre 2019, par e-mail, retranscrite intégralement avec l’accord de l’artiste.
[2] Voir Michel MOUSSEAU, Domaine de Kerguéhennec, carnet de résidence publié à l’occasion de l’exposition présentée du 3 mars au 2 juin 2019, Département du Morbihan, Presses du Cloître Imprimeurs, Saint-Thonan, 2018.
Gérard SCHNEIDER : Le lyrisme à l’état brut
Gérard Schneider a sans aucun doute le coup de brosse le plus brut et spontané de tous les artistes abstraits lyriques des années 1950-1960. Sa gestuelle est incomparable et reconnaissable ; on ne peut la confondre avec la rigidité contrôlée d’un Hans Hartung, la calligraphie orientaliste d’un Georges Mathieu, ou la gestuelle jazzy d’un Jean Miotte.
Son geste volontairement plus brouillon représente ce que l’art abstrait lyrique a de plus essentiel. C’est pourquoi le grand critique Michel Ragon n’hésite pas à écrire : « L’abstraction lyrique s’est surtout incarnée dans Gérard Schneider, comme le cubisme dans Picasso »[1]. Cela ne veut pas dire que Gérard Schneider soit l’initiateur du mouvement, ni son unique représentant, cela veut dire que les envolées picturales brutales de Schneider incarnent la quintessence même de ce mouvement et de ses intentions, à savoir un élan spontané et intérieur se reflétant par une gestuelle abstraite instinctive.
Pourtant, Gérard Schneider a une éducation artistique des plus classiques. Né d’un père ébéniste à Neuchâtel, il étudie l’art traditionnel et académique en Suisse avant d’arriver à Paris, à l’âge de vingt ans, afin d’étudier à l’École des Arts Décoratifs puis aux Beaux-Arts. Tenté un moment par le cubisme, il se plaît à répéter « j’aime tous mes classiques », mais dès l’année 1935, il abandonne la figuration pour l’art abstrait. A partir de 1930 déjà, son style s’achemine vers l’abstraction, et est ainsi qualifié par Michel Ragon : « l’élan du geste, une violence contenue, la lueur d’une coulée de pâte blanche »[2]. Pendant un temps, Schneider hésite entre la non-figuration et l’abstraction – voir notre Gros Plan en fin d’article.
Proche du mouvement surréaliste, Schneider écrit des poèmes, où cette fureur silencieuse s’exprime aussi bien que lorsqu’il prend ses pinceaux. Daniel Chabrissoux en réfère à Loïs Schneider dès juillet 1991 : « Le trait est un élément dominant, un travail de vitesse où le mouvement est primordial, mais aussi cette rupture avec la nature où l’on cherche à l’intérieur de soi la source de l’inspiration. C’est le surréalisme qui a apporté cela, ce fut très important pour la naissance de l’abstraction lyrique et aussi pour les artistes américains. »[3]
Gérard Schneider ne se rapproche pas alors des autres artistes de sa génération, qui tendent vers une abstraction plutôt géométrique. Artiste érudit, son inspiration vient à l’inverse du surréalisme, de cette manière nouvelle de chercher un élan créateur au plus profond de son subconscient et de son intimité.
A la fin de la guerre, il commence à exposer avec des artistes abstraits tels que Marie Raymond, Jean Deyrolle ou Hans Hartung, avec lequel il créée un groupe informel d’artistes qui souhaitent travailler l’abstraction d’une manière nouvelle, en se laissant porter par leur élan créateur. S’y rallient Michel Atlan, Serge Poliakoff, Pierre Soulages et d’autres qui deviendront les grands représentants de l’art abstrait lyrique en France.
C’est surtout avec Hans Hartung et Pierre Soulages que Schneider forme un trio durable aux multiples expositions et succès.
Les années 50 sourient en effet à Gérard Schneider, alors au faîte de sa gloire.
Charles Estienne, le grand critique, écrit dans la revue Combat le 30 avril 1947 : « A la galerie Lydia Conti, Schneider s’est attaqué au problème le plus difficile, celui de tout dire dans une forme abstraite, en s’en tenant aux deux dimensions du plan. Le voici aujourd’hui en pleine possession de ses moyens d’expression ; tantôt il nous semble romantique, se fiant plus à son graphisme et à son trait, aux taches de couleurs éclatantes, pour s’exprimer d’une manière lyrique, tantôt, il semble plus classique, et supprime tout espace inutile dans le jeu serré des formes. Mais sa peinture a toujours un contenu intérieur nécessaire et suffisant, et l’accord coloré qui résume finalement le tableau est d’une richesse sans emphase et d’une sûreté qu’il faudrait être aveugle pour nier. Belle leçon que je dédie à beaucoup de jeunes peintres. »[4]
Tout comme les autres représentants de l’art abstrait lyrique, Hans Hartung, Georges Mathieu, Pierre Soulages, André Lanskoy et les autres, Gérard Schneider est présent sur les cimaises de la Galerie Hurtebize à Cannes, qui promeut cette période de création libre et intense dans la France de l’après-Guerre.
L’œuvre Opus 71-C de Schneider, une huile sur toile de 1957, est dans la lignée du travail décrit par Charles Estienne. L’artiste y développe son lyrisme si brut et reconnaissable, à coups de brosse large denses en matière, éclairés par des taches de couleurs qui contrastent avec le noir des barreaux qui s’étalent sur le fond bleu nuit de la composition. Sa proximité avec Hartung et Soulages se ressent dans cette composition où figurent les fameuses « poutres » décrites par Hans Hartung, typiques selon lui des artistes lyriques et des abstraits américains de cette période[5]. Ainsi, par ses formes et ses harmonies colorées, cette œuvre puissante témoigne de l’œuvre spontané de Gérard Schneider, qui a sans cesse cherché son inspiration au plus profond de lui-même.
Gros plan : l’Art selon Gérard Schneider : Art non figuratif ou abstraction ?
Beaucoup d’artistes de cette période abandonnent la figuration de leurs débuts pour l’abstraction. Mais il est difficile de définir leur art ; est-ce de la non-figuration ou bien de l’abstraction ? André Marfaing, par exemple, se refuse à employer le terme d’art abstrait, lui préférant celui d’art « non-figuratif ».
Qu’en est-il de Gérard Schneider ?
C’est Michel Ragon, dans sa magnifique somme sur le peintre, qui nous l’explique :
Il cite Gérard Schneider, qui explique avoir abandonné l’art figuratif vers 1937 – en réalité, dès les années 1930. « J’abordais l’abstrait, vers 1937, par quelques créations imaginatives directes, dira-t-il en 1985 à Gérard Xuriguera. Ce n’était pas encore de l’abstrait, mais de l’abstraction. »
Ce qui différencie l’abstrait de l’abstraction, Gérard Schneider reviendra souvent sur ce sujet (…). Avant la guerre, Schneider abstractise des formes ; après la guerre, il travaillera directement dans l’abstrait, sans aucune référence au monde visible. »[6]
C’est en 1945 que Schneider affirme par une phrase-manifeste le tournant de son orientation. Il est alors définitivement passé du côté de l’abstrait, sans référence au réel, et se sépare des non-figuratifs -Bissière, Bazaine, Manessier, Lapicque et les autres, qui conservent des références au réel dans leur peinture.
En effet, c’est au Salon des surindépendants de 1945, que Schneider expose une peinture, Les Pendus, qui n’a de figuratif que le titre. Il inscrit sous la reproduction de ce tableau son adhésion à l’art abstrait, qui s’éloigne définitivement du non-figuratif : « Les nouvelles possibilités de la peinture abstraite s’orientent vers un contenu expressif et dramatique de la création de ses formes. Dans l’abstraction la peinture trouve l’indispensable à sa fin technique et explosive en excluant les éléments extérieurs inutiles. »
Ainsi, l’abstrait comporte une expressivité qui devient une fin en soi. C’en est fini du rapport au réel dans la création, il n’y a que le réel des émotions « explosives » de Gérard Schneider lui-même, et de sa gestuelle picturale qui s’affirme en tant que telle, sans volonté illusionniste.
Venez retrouver nos œuvres de Gérard Schneider exposées à la Galerie Hurtebize à Cannes, ou sur notre site internet www.galerie-hurtebize.com
Marie Cambas
Dernière arrivée dans l’équipe, Marie est diplômée de l’Ecole du Louvre et de la Sorbonne en histoire et en histoire de l’art. Spécialisée en peinture ancienne, elle se tourne ensuite vers l’art Moderne et intègre la galerie en 2018.
__
[1] Michel RAGON, Schneider, Expressions Contemporaines, Angers, 1998.
[2] Michel RAGON, Schneider, Expressions Contemporaines, Angers, 1998, p. 19.
[3] Propos rapportés et publiés par Michel Ragon, in Schneider, Expressions Contemporaines, Angers, 1998, p. 26.
[4] Charles ESTIENNE, in Combat, 30 avril 1947.
[5]Hans Hartung, Autoportrait, Les presses du réel, 2016, première édition Grasset, 1976, p.223 : « Avant la guerre, mes taches avaient commencé à aller de pair avec de larges barres sombres préfigurant ces « poutres » qui, pour beaucoup de peintres (Franz Kline, Soulages, et moi-même encore), allaient jouer, après-guerre, un grand rôle. »
[6] Michel RAGON, Schneider, Expressions Contemporaines, Angers, 1998, p. 19.
Georges Mathieu, un avenir radieux ?
En juin dernier, une dépêche venue des Etats-Unis fait l’effet d’une bombe sur le marché de l’art moderne : les galeries Perrotin et Nahmad, poursuivant leur entreprise commune visant les grands pionniers de l’art abstrait à la française, ont noué un pacte d’exclusivité avec la succession Georges Mathieu.
« We are honored to work with the Estate of Georges Mathieu, who has entrusted us with legacy of this visionary artist. Bold and experimental, Mathieu was the founder of Lyrical Abstraction and a pioneer of Action Painting and performative art, with work present in a multitude of museums and prestigious collections around the world. Our decision today to collaborate is an exciting challenge and will reinvigorate Mathieu’s legacy internationally”, declared Emmanuel Perrotin and Joe Nahmad.”[1]
Cette annonce survient alors que la cote de Georges Mathieu connaît depuis quelques années déjà un bond dans les ventes aux enchères ainsi que dans les galeries françaises et internationales qui s’attachent à défendre son œuvre.
La Galerie Hurtebize propose depuis plus de dix ans le travail de cet artiste majeur, avec des toiles des diverses périodes de la production de Georges Mathieu.
L’œuvre Urfa (*), datée de 1969, témoigne des accents japonais de l’écriture caractéristique du maître. En effet, la calligraphie qui s’étale en relief sur le fond brossé sombre n’est pas sans rappeler les idéogrammes sino-japonais. Langage spontané et lyrique, reflet de l’inconscient et de l’intériorité du peintre, elle forme un ensemble de signes destinés à être compris par la sensibilité du spectateur. Si ce style a fait la renommée de Georges Mathieu, une autre phase de son travail, plus mûre, a été redécouverte et défendue par de nombreuses et illustres galeries ces dernières années.
L’œuvre Fantômes Vermeils (*) illustre bien cette phase de maturité du travail de l’artiste, de plus en plus reconnue et appréciée des amateurs en ce qu’elle témoigne de la gestuelle exacerbée de Georges Mathieu. Rappelons que ce dernier organisait des séances publiques au cours desquelles il se faisait filmer, car c’est bien l’action de peindre – l’Action Painting, dont Mathieu est l’un des fondateurs -, qui forme le socle de son art. Les projections de matière picturale (« dripping ») y alternent avec les grands coups de brosses, dans un rythme effréné aux couleurs vives et audacieuses.
Les galeries françaises, à l’instar de la Galerie Hurtebize, ne sont pas les seules à admirer le travail abstrait, à la fois complexe et génial de cet artiste inimitable. Depuis quelques années, Georges Mathieu a conquis le marché chinois, et cette tendance ne cesse de s’accentuer.
Avec le partenariat nouveau formé par Nahmad-Perrotin et la succession Mathieu, il y a fort à parier que la fortune de cet immense artiste connaisse un nouvel embrasement dans les années à venir, tout comme celle d’Hans Hartung, soutenue par les deux mêmes galeries depuis quelques années, et dont le succès ne cesse de croître.
Marie Cambas
Dernière arrivée dans l’équipe, Marie est diplômée de l’Ecole du Louvre et de la Sorbonne en histoire et en histoire de l’art. Spécialisée en peinture ancienne, elle se tourne ensuite vers l’art Moderne et intègre la galerie en 2018.
__
[1] Communiqué officiel des galeries Nahmad et Perrotin, juin 2019 : « Nous sommes honorés de travailler avec la Succession de Georges Mathieu, qui nous a confié l’héritage de cet artiste visionnaire. Aussi audacieux qu’expérimental, Mathieu est le fondateur de l’Abstraction Lyrique, et l’un des pionniers de l’Action Painting et de l’art performatif, avec un travail présent dans une multitude de musées et de prestigieuses collections partout dans le monde. Notre décision de collaborer est un défi excitant qui a revigorera l’héritage de Mathieu à l’international. »